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Richesses Cadre de vie

Les loyers en Belgique

Montants, tendances et cartographies

4 mars 2019 François Ghesquière

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La question du loyer est centrale pour qui s’intéresse aux inégalités. En effet, le droit au logement est fondamental dans l’accès à des conditions de vies décentes. Pour ne pas se limiter aux ressources des personnes et des familles (revenus), il est pertinent d’étudier leurs dépenses pour voir si leurs rentrées sont suffisantes pour vivre dignement.

L’article publié ici reprend plusieurs résultats issus d’une étude menée à l’IWEPS [1] qui éclairent la question de l’accès au logement. Cette recherche mobilise les données issues de l’enregistrement des baux, une obligation légale du bailleur mais qui n’est pas toujours respectée, et des statistiques provenant des annonces postées sur Immoweb, une société spécialisée dans la publication d’annonces immobilières. Les loyers mesurés ici diffèrent quelque peu des enquêtes qui interrogent les locataires sur la mensualité qu’ils versent à leur bailleur. En effet, on a essayé de mesurer le loyer des nouveaux baux et des annonces. Il s’agit ainsi d’indicateurs du prix que doivent débourser les (futurs) locataires qui cherchent un logement et non des dépenses des locataires actuels. On y appréhende donc les possibilités d’accès au logement plutôt que le coût de celui-ci. Dans cet article nous présenterons quelques statistiques sur l’évolution des loyers, leur distribution géographique et le montant de ceux-ci en rapport à celui des allocations sociales.

Commençons par explorer l’évolution des loyers en Belgique. Le graphique ci-dessous présente l’évolution des loyers moyens, tous types de logements confondus, selon trois sources – les annonces d’Immoweb, l’enregistrement des baux et des données issues d’une enquête –, ainsi que l’inflation [2]. On y observe deux éléments intéressants.

Premièrement, les loyers d’Immoweb et des baux enregistrés sont très élevés. Ils le sont dans l’absolu, notamment si l’on compare le montant à celui des allocations sociales (nous y reviendrons plus loin). Mais ils le sont aussi en comparaison aux loyers versés par les locataires actuels. Cela veut dire que l’accès au logement est assez compromis. Certains ménages peuvent ainsi être captifs de leur logement. Impossible pour eux d’en (re)trouver un à un prix équivalent à leur loyer actuel. Dès lors, ils peuvent être contraints de rester dans un logement inadapté en regard de leur situation actuelle (localisation, taille, confort, salubrité…). Plusieurs hypothèses peuvent expliquer cette différence entre loyers actuels et loyers des biens proposés à la location : par exemple, certains logements loués depuis longtemps ont un loyer qui n’a pas (ou peu) été actualisé, les logements les moins chers sont occupés pendant une longue durée par les locataires – de sorte qu’ils sont moins souvent disponibles à la location. Notons que la différence de prix entre Immoweb et l’enregistrement est essentiellement méthodologique : les annonces d’Immoweb concentrent les logements à loyer plus élevé, notamment parce que poster une annonce y est payant.

Deuxièmement, de manière assez surprenante, on observe que la croissance des loyers y est plutôt faible. Elle est de même ordre de grandeur que celle de l’inflation : la croissance du loyer moyen d’Immoweb y est inférieure alors que celle des baux enregistrés y est légèrement supérieure (mais l’inflation est particulièrement faible ces années-là). Ce constat semble assez contre-intuitif par rapport aux nombreux discours autour de la crise du logement et des témoignages vécus de loyers qui augmentent constamment. Néanmoins plusieurs éléments viennent relativiser cette faible évolution. D’abord, les loyers sont déjà à un niveau très élevé. On ne peut d’ailleurs pas exclure qu’ils aient fortement augmenté au début des années 2000, période durant laquelle les prix de l’immobilier acquisitif ont fortement crû. Par exemple, les prix moyens de vente des maisons et des appartements ont respectivement augmenté de 128 % et 117 % entre 1996 et 2006 contre 42 % et 41 % entre 2006 et 2016 [3] Ensuite (et c’est l’objet du graphique suivant), on observe que l’augmentation n’est pas la même pour tous les types de biens. Le loyer des petits logements augmentant plus fortement que celui des grands logements. Ainsi, le montant des loyers des biens accessibles aux ménages les plus précaires augmentent fortement, alors que celui des logements de prestige ont tendance à stagner, voire à diminuer. On observe aussi que dans chaque type de logement, ce sont les biens les moins chers dont le prix augmente le plus. [4]. On peut par ailleurs supposer que les logements les moins chers sont sous-estimé dans nos données [5]. Dans ce cas, la hausse des loyers serait en réalité supérieure à celle que l’on observe.

Au-delà de la dimension temporelle, il est intéressant d’explorer la variation géographique des loyers. C’est ce qui a été réalisé dans la carte ci-dessous à partir des baux enregistrés en 2015. On y observe que plus on s’éloigne de Bruxelles, moins les loyers sont élevés. La distance à Luxembourg ville, Anvers ou Gand joue aussi, mais de manière beaucoup moins forte. La carte ci-dessous montre que la moyenne communale des loyers des baux enregistrés varie du simple au triple selon les communes [6].

Une partie de ces écarts provient du fait que les logements plus spacieux sont surreprésentés dans les zones riches et que les logements plus petits se retrouvent plutôt dans les zones plus pauvres. On a par exemple beaucoup de maisons de quatre chambres ou plus en périphérie Bruxelloise, beaucoup d’appartements d’une chambre dans les centres urbains et de petites maisons dans les zones rurales pauvres. Pour neutraliser cet effet du type de logement, nous reprenons dans la carte ci-dessous les loyers moyens des annonces Immoweb des appartements de deux chambres [7] (années 2006 à 2016 confondues). On retrouve de manière encore plus marquée cette structure géographique de centre/périphérie. Il en résulte que les loyers dans le centre pauvre de la région bruxelloise sont plus élevés que ceux que l’on trouve dans la plupart des communes riches éloignées de Bruxelles. Par exemple, les loyers d’un appartement de deux chambres sont plus faibles à Namur et dans les communes aux alentours sont inférieurs à ceux de Molenbeek. Par conséquent, à long terme, on risque de voir apparaître un exode des classes populaires de Bruxelles, confrontées alors à d’autres difficultés, notamment de mobilité, dans leur nouvel environnement [8].

Revenons maintenant au montant du loyer lui-même. Il est intéressant de voir la part de son revenu que doit être prêt à débourser un ménage qui cherche à se loger. Pour cela nous prendrons l’exemple de deux types de ménage : une personne seule bénéficiaire du revenu d’intégration sociale (RIS) qui cherche un appartement d’une chambre et une mère seule bénéficiaire du RIS avec deux enfants en bas âge qui cherche un appartement avec deux chambres [9]. Le tableau ci-dessous met en relation, dans chaque province en 2016, le loyer moyen des logements proposés en location avec le revenu du ménage. On peut y observer que la part du revenu qu’ils devront consacrer au loyer est très élevée et ce qui leur reste pour faire face à toutes les autres dépenses (y compris les frais connexes liés au logement comme les charges, les assurances et les petites réparations) est très faible.

On ne peut que constater que la part du revenu qui doit être consacrée au loyer est exorbitante, en particulier à Bruxelles. Elle est très souvent supérieure à 50 % du revenu et atteint même près de 90 % du revenu pour un bénéficiaire isolé du revenu d’intégration à Bruxelles. Si le coût du logement est moins élevé en dehors de Bruxelles et de sa périphérie, il reste élevé et habiter en dehors de grands centres urbains peut engendrer d’autres dépenses, notamment en transport. Par ailleurs, si la part du revenu consacrée au loyer est plus faible pour les familles monoparentales bénéficiant d’un RIS, en regard de leurs plus grandes dépenses, leur situation n’est certainement pas plus favorable que celles des isolés. Il est vrai que tous les candidats locataires ne sont pas pauvres ou dépendant du RIS, mais vu le faible nombre de logements sociaux disponibles [10], la plupart des personnes précaires doivent recourir au marché privé pour se loger. Rappelons aussi qu’en Belgique, les taux de pauvreté ont tendance à augmenter pour les locataires et à diminuer pour les propriétaires [11].

Pour conclure, je voudrais discuter l’idée selon laquelle mieux garantir l’effectivité de l’accès au logement doit passer par une limitation de l’augmentation des loyers. Or, en regard des données disponibles, il apparaît que le problème n’est pas tant la croissance que le niveau même du loyer des logements proposés en locations sur le marché privé. Puisque limiter l’augmentation n’est pas suffisant, ne faudrait-il pas plutôt plaider pour une baisse des loyers [12] ? Cette proposition radicale et ambitieuse ne risque-t-elle d’être difficile à mettre en œuvre ? En effet, comment efficacement contrôler le prix les loyers alors qu’on ne sait même pas identifier clairement les logements loués ? Sur ce point, reconnaissons que le marché locatif privé échappe largement au contrôle et à la connaissance de l’État. On a ainsi pu estimer qu’en Belgique à l’heure actuelle, au maximum un bail sur deux est enregistré. Pour garantir le droit au logement, plutôt que de vouloir contrôler un marché, dont la logique sera toujours la recherche de profit, ne serait-il pas préférable de développer le logement social (par construction et/ou achats de logements) qui permet de passer d’une logique marchande à une logique de service public ?

Notes

[1Le rapport complet reprenant d’importantes précisions méthodologiques ainsi que de nombreux chiffres en annexe sont disponibles ici.

[2Pour les indicateurs issus d’Immoweb et des baux enregistrés, ce sont les indicateurs pondérés qui sont retenus de manière à corriger le fait qu’il y a plus d’annonces qu’attendu (surtout dans Immoweb) dans les communes riches et à proximité de Bruxelles. Le loyer moyen versé par ménages locataires est mesuré à partir de l’enquête Statistics on Income and Living Conditions (SILC). Pour plus d’informations sur ce dernier indicateur, voir ici en particulier le fichier annexe. L’indice des prix à la consommation provient de Statbel.

[3Voir les chiffres publiés par Statbel à ce sujet.

[4Techniquement, cela a été mesuré à l’aide des quartiles.

[5C’est le cas dans les données d’Immoweb, pour lesquelles le nombre d’annonces est plus important dans les communes riches que dans les communes pauvres. Cela peut s’expliquer en partie parce que poster une annonce y est payant. Dans les données des baux enregistrés, c’est moins évident, mais on peut aussi supposer que les propriétaires de logements de faible qualité (insalubre par exemple), probablement moins cher, auront moins tendance à enregistrer leurs baux.

[6La carte des loyers d’Immoweb est très similaire. Elle présente toutefois des loyers en moyenne un peu plus élevés (de l’ordre de 100€ à 200€), particulièrement dans certaines communes bruxelloises, parce que les annonces passant par Immoweb reprennent plus de logements chers (voir notes 2 et 5).

[7Ce type de logement a été repris car il est le plus fréquent dans les annonces Immoweb et sa distribution géographique est relativement uniforme sur le territoire. Pour avoir suffisamment d’offres dans les communes, toutes annonces de 2006 à 2016 ont été prises en compte.

[9Les montants des revenus d’intégration sociale proviennent du SPP-IS et le celui des allocations familiales de Famifed.

[10À titre d’exemple, selon le service de lutte contre la pauvreté, à Bruxelles en 2016, il y avait plus de ménages inscrits sur liste d’attente pour un logement social que de logements sociaux (loués).

[11Voir ici, en particulier tableaux annexes.

[12Au moins un alignement des loyers des biens proposé à la location à celui des biens actuellement loués, mais cela reviendrait de toute façon à une baisse du prix de nombreux logements proposés à la location