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Cadre de vie Classes sociales

Défendre son pré-carré. Le conflit sur l’usage du terrain du champ des cailles à Watermael-Boitsfort

4 avril 2022 Gilles Van Hamme, Hugo Périlleux

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Au cours des 20 dernières années, l’accès au logement est devenu un problème central pour les Bruxellois, du fait notamment de la forte augmentation de la population. Les habitants de la Région de Bruxelles-Capitale doivent consacrer une part croissante de leurs revenus au logement, en particulier les plus pauvres. Les conditions de logement se sont fortement dégradées, amenant des familles à loger dans des conditions de plus en plus précaires ; des individus libérables restent en prison faute d’adresse ; des caves servent de logement à des familles… La liste d’attente pour le logement social ne fait qu’augmenter à Bruxelles et elle comprend aujourd’hui plus de 50 000 ménages. Le temps d’attente est estimé à environ 10 ans avant d’avoir accès à un logement social. Ces faits sont certes connus, mais on mesure mal les difficultés quotidiennes qu’elles génèrent pour de nombreux Bruxellois.

Un des éléments essentiels de la crise du logement est la compétition pour un espace devenu de plus en plus rare à Bruxelles. Cet espace rare doit accueillir les infrastructures collectives, le logement, les espaces récréatifs, les activités productives que l’on souhaite ou qu’il est nécessaire de maintenir en ville… Lorsque la population augmente [1], ce qui est le cas à Bruxelles depuis plus de vingt ans, il y a donc nécessairement une concurrence croissante entre les différents usages de l’espace. Comme une partie seulement de l’espace peut être construit, afin de protéger la nature en ville et les autres fonctions, les terrains à bâtir non encore bâtis sont précieux, plus encore si ces terrains sont la propriété du secteur public.

C’est dans ce contexte que des projets de construction se sont multipliés sur les terrains à bâtir encore disponibles, notamment dans le cadran Sud-Est aisé et moins dense de la ville, depuis les communes de Woluwé jusqu’à Uccle, en passant par Watermael-Boitsfort. Ces projets donnent systématiquement lieu à d’intenses conflits quant à l’usage de ces parcelles : c’est le cas aux Dames Blanches à Woluwé Saint-Pierre, à Uccle (Rue du Bourdon, Keyenbempt…) ou sur le champ des cailles situés à Watermael-Boitsfort. Dans tous ces cas, une intense mobilisation des résidents du quartier, soutenus par les pouvoirs communaux s’oppose aux projets de la Région. Dans tous les cas, les opposants mobilisent des arguments spécifiques et locaux pour refuser la construction de logements sociaux à l’endroit prévu. Le dimanche 13 février, environ 900 personnes ont manifesté contre le projet de construction de logements sociaux sur une partie du champ des Cailles, afin de défendre le projet d’agriculture urbaine qui s’y est mis en place. Nous proposons une analyse de ce conflit emblématique, et des arguments défendus par les habitants.

Le projet de construction sur le champ des Cailles

Revenons brièvement sur l’histoire récente de cette parcelle. La parcelle du champ des Cailles mesure environ 3 ha ; elle avait été cédée en 1964 par la Ville de Bruxelles à la société de logement social Le Logis pour y construire du logement social. En 1981, un projet de construction sur l’ensemble de la parcelle a été approuvé pour y construire 66 maisons et 48 appartements (voir figure 1). Mais ce projet a été reporté pour des raisons financières. Depuis, la société de logement social a gardé cet espace comme réserve foncière. Pendant des dizaines d’années, jusque 2010, un agriculteur cultivait la parcelle. Deux années après qu’il ait abandonné la parcelle, un projet d’agriculture urbaine a commencé à se mettre en place. Mais, en 2013, le gouvernement régional (PS et Ecolo dans la majorité) a validé le financement de la construction de 70 logements sur 1/3 de la parcelle. Cette décision a été ensuite validée par la commune au travers de son Plan Logement Communal. Néanmoins, sous pression, Olivier Deleuze (Bourgmestre Ecolo) et les Ecolo de Watermael-Boitsfort ont abandonné leur soutien à la construction de logements sociaux pour suivre l’opposition structurée autour du projet d’agriculture urbaine. Désormais, le parti Ecolo soutient aussi les opposants au projet au sein du gouvernement régional. En effet, les cultures développées sur ce terrain s’inscrivent parfaitement dans les ambitions du parti en matière d’agriculture urbaine et, au-delà, il est aussi défendu comme facteur de « cohésion sociale », comme l’ont exprimé le bourgmestre Olivier Deleuze [2] et le ministre régional Alain Maron [3] sur BX1.

Figure 1 : Plan du projet de construction approuvé en 1981 pour la construction de 66 maisons (mitoyenne à droite de l’image) et de 48 appartements (dans les blocs carrés à gauche de l’image)
Source : Vandermotten Christian, Istaz Dominique (2022). Itinéraire du logement social et des cités-jardins dans l’est de Bruxelles. Hommes et paysage. Société Royale Belge de Géographie.

Le projet actuel de la Société du Logement de la Région bruxelloise (SLRB) sur le champ des Cailles prévoit la construction d’une salle communautaire et de 70 logements (80 % sociaux, 20 % moyens) sur 1/4 de la parcelle (10 % du terrain destiné aux constructions et 15 % pour les chemins et abords), soit une surface déjà diminuée vis-à-vis de la décision de 2013. Ceci était pour la SLRB et Le Logis-Floréal [4] une position de compromis laissant une grande partie des activités d’agriculture urbaine intactes. Pour l’essentiel, le projet prend place sur une parcelle où s’est développé un modeste élevage de moutons et non sur les parcelles utilisées pour le maraîchage ou comme potagers urbains, qui ne sont plus remis en cause. Pourtant, les soutiens au projet d’agriculture urbaine, suivis par Olivier Deleuze, ont lancé une mobilisation revendiquant « zéro construction ».

Face aux défenseurs de l’agriculture urbaine, le directeur de la SLRB interrogé sur BX1 [5] a souligné qu’il est important de voir « pour qui ce terrain a été réservé » et il précise qu’aujourd’hui il est utilisé par « une certaine catégorie de la population », sous-entendu des personnes plus aisées que le public des logements sociaux pour lequel le projet est conçu. Les locataires des logements sociaux organisés au sein de la coopérative de logements sociaux ont quant à eux mené une interpellation au conseil communal du 15 février 2022. Ils disent craindre une « expropriation » par les meneurs du projet d’agriculture urbaine au profit d’une « cause d’utilité privée ».

Il n’y a donc pas de doute que l’usage de ce terrain à bâtir est la source d’un conflit intense entre deux groupes : des habitants défenseurs de l’agriculture urbaine soutenus par Ecolo et ceux qui défendent la production de logements, supportés notamment par le PS au niveau régional. Cette opposition politique reflète aussi la forte implantation des Ecolo dans le Sud-Est et la défense de leur base électorale alors que le PS obtient des scores électoraux modérés dans ces communes.

Pourtant, autour des débats sur le champ des cailles, les rapports conflictuels sont souvent euphémisés, voire niés. Le titre de l’étude financée par Innoviris (organisme public qui finance la recherche en Région bruxelloise) entre 2017 et 2020 illustre cette rhétorique lisse avec son acronyme Symbiose Agriculture Urbaine Logement Environnement (SAULE). Le postulat de l’étude était qu’une symbiose (relation biologique mutuelle bénéfique) est possible écartant d’emblée que des conflits seraient possibles. Les auteurs ont pris dès le départ le parti que les deux usages, logements et agriculture urbaine, sont possibles. Pour les Ami-e-s du champ des Cailles, toute analyse par le prisme des rapports conflictuels reviendrait à mettre les gens « dans des cases », serait vecteur en soi de division et reviendrait à opposer « les cowboys et les Indiens » (voir figure 2).

Figure 2 : Publication des Ami.e.s du chant des Cailles

De fait, les mouvements pour l’écologie tendent à universaliser leur discours et prétendent lutter pour l’humanité tout entière – la conservation des espaces non construits comme nécessité écologique dans la ville – niant les conflits sociaux, ici pour l’usage d’une parcelle. Mais les valeurs promues sur un mode universel traduisent pourtant de fait la défense de groupes socialement identifiables qui pratiquent l’agriculture sur cette parcelle, les opposant à des groupes tout aussi identifiables, qui pourraient bénéficier d’un logement social. Si l’espace disponible était abondant pour construire du logement, la question ne se poserait pas dans les mêmes termes mais ce n’est pas le cas. Selon nous, il est donc nécessaire d’analyser ces projets concurrents au prisme des publics visés : à qui va profiter tel ou tel projet ? En fin de compte, la ville pour qui ?

Qui sont les défenseurs de l’agriculture urbaine sur le champ des cailles ?

Parmi les arguments de défense du projet d’agriculture urbaine, celui de « cohésion sociale » occupe un rôle central, sans qu’il en soit précisé les contours. En tout cas, si par cohésion sociale on entend lieu de rencontre de toutes les catégories sociales du quartier, la situation sur le terrain semble tout de même éloignée de cet objectif.

« Les valeurs promues traduisent la défense de groupes socialement identifiables qui pratiquent l’agriculture sur cette parcelle, les opposant à des groupes tout aussi identifiables, qui pourraient bénéficier d’un logement social »

Le champ des Cailles est situé au milieu d’une cité de logement social mais son usage est le fait de quelques centaines de ménages avec une présence très faible de locataires sociaux. Cette difficulté d’intégrer les locataires sociaux est regrettée par les membres du champ eux-mêmes [6]. Les personnes qui fréquentent le champ sont surtout des gens issus des classes moyennes et supérieures, disposant de revenus au-delà de la moyenne, propriétaires de leur logement pour la plupart, avec des niveaux élevés de diplôme, etc. Ceci est en partie lié au prix d’inscription pour cultiver les parcelles, qui varie entre 280 € et 450 € annuellement.

Le résultat est une sélection sociale dans la fréquentation du champ : si l’on regarde parmi les abonnés au champ des Cailles, seulement 17 % sont des locataires des logements sociaux [7], alors qu’il y a 59 % de logements sociaux dans les environs immédiats du champ des cailles [8]. Si l’on regarde maintenant parmi les locataires sociaux du Logis-Floréal, seuls 1,3 % d’entre eux possèdent un abonnement au champ [9]. Le champ des cailles ne remplit donc dans la pratique que faiblement un objectif social. Ce constat doit nécessairement être mis en regard avec le fait que ce terrain est l’un des rares espaces destinés à la production de logements sociaux. Comme cela a été dit, environ 50 000 ménages – soit plus de 100 000 personnes – patientent sur les listes des logements sociaux avec un temps d’attente moyen estimé à 10 ans. Et pour le moment, ces ménages payent trop cher pour des logements trop petits et en mauvais état.

Une agriculture urbaine marginale

Le rapport de l’étude SAULE fait état de 310 inscrits au maraîchage et 130 au bercail (produits laitiers). Par ailleurs, une partie des légumes vendus sur le champ viennent en réalité d’un terrain à Overijse et les moutons pâturent surtout au Couvent Saint-Anne à 400 mètres de là. Comme cela vient d’être dit, cette production est réalisée en grande partie pour des ménages mieux dotés que ceux qui viendraient habiter les éventuels futurs logements sociaux, et celle-ci n’est suffisante que pour fournir une nourriture d’appoint. Le champ permet au mieux de ne plus trop acheter de légumes venus d’ailleurs (via les marchés et supermarchés), mais pour le gros de leur alimentation, les personnes inscrites sont tout de même dépendantes de productions réalisées ailleurs, impliquant que l’autonomie alimentaire prétendue est toute relative. Et si l’on compare ce nombre d’inscrits avec le nombre d’habitants à l’échelle du quartier ou de la ville, cette autonomie est encore plus relative. On peut reconnaître aux potagers le fait de permettre à des gens de se rencontrer ou de faire groupe ; cette fonction ne nécessite cependant pas de mobiliser une telle surface. En fin de compte, cette agriculture urbaine qui a des prétentions de production s’avère une solution marginale face à l’immensité des défis pour nourrir les habitants de la ville, en limitant l’impact sur l’environnement. Plus fondamentalement encore, compte tenu de la rareté des espaces disponibles, de telles expériences ne peuvent guère être multipliées et ne constituent en aucun cas une ébauche de solution structurelle aux défis environnementaux.

Le champ des cailles rend-il des services écologiques indispensables ?

Les services écologiques apportés par le terrain sont régulièrement brandis pour s’opposer à toute construction. Le champ serait important pour la qualité de l’air, les îlots de chaleurs et même pour retenir l’eau contre les inondations. Cependant, le terrain est en hauteur, ce qui limite la rétention des masses d’eau pour prévenir des inondations. Le terrain se situe par ailleurs dans une des zones les plus vertes de la région bruxelloise et il représente une surface limitée parmi la quantité d’espaces verts environnants (cité-jardin, forêt de Soignes, parc de la héronnière, etc.). Dans un contexte urbain, les habitants de ces quartiers bénéficient d’une qualité environnementale bien supérieure aux quartiers centraux de la ville : les faibles densités, les taux élevés de verdurisation limitent d’autant les problèmes de qualité de l’air et de fortes chaleurs (voir figure 3).

Figure 3 : Orthophoto fausse couleur avec l’utilisation du Proche infrarouge (PIR) où la végétation apparaît en rouge pour plus de contraste avec le bâti.
La différence de densité entre le quartier Trois-Tilleul où se trouve la parcelle du champ des Cailles et le quartier de Molenbeek historique – pris ici pour exemple – (respectivement 6 900 et 24 900 habitants/km²) se traduit par une forte différence de verdurisation.

De ce point de vue, les modestes constructions prévues sur le champ des cailles ne sont pas d’ampleur à renverser la dualité de la ville en matière de qualité environnementale entre quartiers centraux plus pauvres et quartiers périphériques, en particulier au Sud-Est, plus aérés et moins denses. Ne pourrait-on pas défendre au contraire que les logements sociaux prévus permettraient à quelques ménages de bénéficier d’un meilleur environnement ?

Au-delà de ces enjeux environnementaux locaux, l’opposition aux constructions (sociales) s’appuie sur un discours d’enjeux écologiques universels de défense de la biodiversité ou de la lutte contre l’artificialisation des sols, qui prend pour acquis que l’on pourrait aérer à la fois la ville et loger ceux qui en ont besoin [10]. Ce discours est très partiel : à une échelle plus large, la densification des villes, plutôt que son « aération » (pour certains), répond beaucoup mieux aux défis écologiques en limitant la dispersion de l’habitat et donc le mitage de la nature, en diminuant les distances parcourues, en rationalisant l’utilisation des infrastructures… Autrement dit, l’argument écologique local de non-artificialisation (de quelques parcelles) se heurte à la nécessité écologique de densification des espaces urbains pour conserver les terrains naturels et agricoles autour des villes.

La mixité sociale : un argument à géométrie variable

L’opposition aux projets de logements sociaux dans les communes de Sud-Est se fait aussi au nom de la mixité sociale, comme cela a été le cas tout au long du conflit sur les projets de constructions aux Dames blanches à Woluwé Saint-Pierre. En mobilisant cet argument, les opposants ont souvent obtenu que la proportion de logements sociaux initialement prévue dans des projets de logements soit fortement réduite, comme cela a été le cas aux Dames blanches : la construction de logement sociaux concentrerait des personnes à bas revenus et diminuerait alors la mixité sociale. Il faut remarquer au passage que pour des communes peu mixtes comme celles du Sud-Est, la construction de logements sociaux renforcerait la mixité sociale à l’échelle communale. Dès lors, en prônant la mixité sociale au niveau d’un bloc, on limite de fait cette mixité à une échelle un peu plus large.

Quoi qu’il en soit, les bienfaits de la mixité sociale (résidentielle) – et son corollaire, à savoir le caractère néfaste de la concentration géographique de la pauvreté – sont largement démentis par la littérature scientifique. Les preuves manquent pour affirmer que la mixité est un vecteur important d’amélioration des conditions de vie pour les pauvres [11]. Dit autrement, ce n’est pas parce qu’on loge un riche à côté d’un pauvre que le second va tout d’un coup obtenir un emploi.

« Seuls 1,3 % des locataires du Logis-Floréal possèdent un abonnement au champ. Le champ des cailles ne remplit donc de fait que faiblement un objectif social »

De ce point de vue, il est vrai que le cas de Watermael-Boitsfort paraît singulier dans les communes du Sud-Est. Olivier Deleuze, bourgmestre de la commune, rappelle régulièrement que Watermael-Boitsfort est la meilleure élève de la région en matière de logements sociaux avec ses 18 %. Cette situation est largement héritée, une grande part de ces logements ayant été construite dans les années 1930 et 1950-1960. Par ailleurs, il faut noter que les habitants des logements sociaux à Watermael-Boitsfort sont issus de catégories sociales plus élevées que dans le reste de la Région de Bruxelles-Capitale, limitant dès lors leur impact sur la mixité sociale dans la commune [12]. En outre, les questions du logement (social) ou de la mixité doivent être pensées à l’échelle de la ville et non de ses différentes communes, qui appartiennent au même système urbain, caractérisé par son déficit de logements pour les populations pauvres, par un accès inégal aux espaces verts…

Malgré tout, la mixité sociale est une notion largement mobilisée pour la promotion de logements moyens à la place de logements sociaux, y compris à Watermael-Boitsfort. Ainsi, la majorité boitsfortoise Ecolo-MR n’a produit que du logement moyen sur les parcelles communales avoisinantes (environ 90 logements construits ou en construction autour du square des archiducs à proximité duquel se situe le champ des Cailles). Ce faisant, Ecolo et MR soutiennent la construction de logements pour des ménages qui électoralement leur sont plus favorables. Cette idée de mixité a également été à l’origine d’un changement opéré pendant la mandature de Doulkeridis (Ecolo) comme secrétaire d’État au logement : aujourd’hui les sociétés de logements sociaux et la SLRB construisent également des logements moyens [13] dans leurs projets sous le terme générique de « logement à finalité sociale ». Et c’est le cas, sur le terrain avenue des Cailles, puisque la SLRB prévoit une partie (20 %) de logements moyens. Il s’agit de faire du logement pour « tous les types de ménages », sous-entendu aussi les moins pauvres, et de créer ainsi une mixité sociale. Ainsi, les objectifs de mixité remplacent les objectifs de réduction des inégalités en fournissant un logement décent aux ménages les plus précaires.

Les logements vides pas si nombreux et indisponibles

Les opposants aux constructions avancent également qu’il faudrait mobiliser les logements vides plutôt que construire de nouveaux logements sociaux. Il est souvent communiqué qu’il y aurait 30 000 logements vides [14] : ce chiffre ne se base en réalité sur aucune étude sérieuse et il est très probable que ce nombre soit fort surévalué. Une étude dans les années 1990 a mentionné le chiffre de 10 000 logements vides, puis au fil de temps, des personnes ont fait augmenter ce chiffre sans aucune base objective.

Selon une étude en cours pour le Secrétariat d’État au logement, le nombre de logements vides ne dépasserait pas 20 000, dont seule une fraction est mobilisable. En effet, derrière les logements vides, il y a beaucoup de dessus de commerce et des logements en cours de rénovation. Tout ceci devrait être objectivé prochainement. Ceci dit, cela fait des années que des services communaux poursuivent les logements vides ; selon eux, il y en aurait environ 500. Le chiffre est sans doute sous-évalué, mais il relativise l’idée qu’une grande masse de logements vides seraient directement mobilisables.

« L’argument écologique local de non-artificialisation se heurte à la nécessité écologique de densification des espaces urbains pour conserver les terrains naturels et agricoles autour des villes »

Compte tenu du caractère limité et très complexe de ces solutions miracles (transformations des bureaux en logements, mobilisations des logements vides…), la production de nouveaux logements sociaux, partout où existe une réserve foncière publique, apparaît comme la solution la plus rapide et la moins coûteuse pour répondre à l’urgence sociale. Cela n’épargne pas une réflexion nécessaire sur l’utilisation d’autres sources potentielles comme la réutilisation des bureaux mais les obstacles sont nombreux et cela ne peut pas servir d’excuse pour bloquer des projets déjà bien avancés, qui permettront à des dizaines de familles de mieux se loger.

Conclusion

Si l’espace était abondant à Bruxelles aujourd’hui, personne ne songerait à remplacer des espaces que les habitants cultivent par des constructions. Mais au cours du dernier quart de siècle, la population de Bruxelles a augmenté fortement et les espaces constructibles sont de plus en plus rares pour répondre à la très forte demande existante sur un bien de première nécessité, le logement. Plus encore, les terrains publics sont devenus rares. Or, en raison précisément du prix du foncier à Bruxelles, il est beaucoup moins cher de construire sur des terrains déjà possédés par les pouvoirs publics que de devoir acheter ces terrains à des propriétaires privés.

C’est précisément le cas du champ de Cailles : un terrain à bâtir possédé par les pouvoirs publics. Mais les usagers de ces terrains soutenus par la commune s’opposent à toute construction souhaitant y maintenir les activités d’agriculture urbaine qui s’y sont développées depuis une décennie. La limitation des constructions à un quart de la parcelle, où paissent quelques moutons, laissant intacts les potagers urbains n’y change rien : les opposants, et les pouvoirs communaux, défendent le « zéro construction ». D’une certaine façon, ils ont déjà gagné : sur un terrain entièrement constructible possédé par la société de logements sociaux, le projet de construire un tiers de la parcelle a désormais été réduit à un quart (en attendant moins ?). Les usagers de ce terrain appartiennent majoritairement aux classes aisées et bien logées de la commune mais défendent leur point de vue au nom des enjeux environnementaux universels. Il ne s’agit pas de leur faire un procès d’intention mais de rappeler simplement ce constat que leur combat retarde d’autant l’accès à des conditions de logement décent à un prix correct pour des familles mal logées et précarisées à Bruxelles.

Notes

[1La population de la Région de Bruxelles-Capitale est passée de 959 000 en 2000 à 1 211 000 en 2021, soit un rythme annuel de 1,11 % par an, plutôt élevé en comparaison des villes européennes de taille similaire.

[4Depuis 2018, les sociétés de logements sociaux Le Logis et Floréal ont fusionné.

[6Voir film SAULE : https://saule-webdoc.be/.

[7Ce chiffre est lui même à relativiser puisque 26 % des locataires de Logis-Floréal ont des revenus supérieurs au revenu d’admission dans le logement social. Ceci doit être dû au fait que beaucoup de locataires ont signé des baux à durée indéterminée il y a longtemps et ils ont depuis changé de situation sociale.

[11Pour une discussion plus détaillée voir l’article : La mixité, c’est surtout pour les (quartiers) pauvres.

[12Le revenu moyen par ménage est 1,22 fois plus élevé que le revenu maximum d’admission au logement social pour Le Logis-Floréal contre 0,97 pour l’ensemble des ménages résidents des logements sociaux (SLRB statistiques 2020).

[13Le revenu d’admission dans le logement moyen est environ deux fois supérieur à celui dans le logement social. Alors que les 50 % des ménages de la région rentrent dans les critères d’admission des logements sociaux, le logement moyen vise la tranche de 20 % supérieure (les déciles 6 et 7).