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Genre

Dans les faits, les discriminations homophobes sont encore une réalité

10 août 2017 Bernard Guillemin
Cet article est la republication d'un article initialement paru le 24 mars 2015

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En avril 2014, l’International Lesbian, Gay, Bisexual, Trans & Intersex Association consacre la Belgique à la deuxième position de son classement des pays ayant développé un cadre légal favorable aux lesbiennes, gays, bisexuels, transgenres et intersexués (LGBTI), en terme de politique d’inclusion et de respect des droits humains.

Depuis 1998 la Belgique veille à mettre en place un cadre légal permettant une réelle inclusion des lesbiennes, gays et bisexuels (LGB) [1] au sein de sa société. C’est en 1998 qu’est promulguée la loi pour la cohabitation légale. Un des objectifs de cette loi est bien de permettre aux homosexuels de voir leur relation bénéficier d’un certain statut juridique [2] Il faudra attendre 2003 pour que le gouvernement belge promulgue la loi pour le mariage entre personnes de même sexe, qui apporte aux homosexuel.le.s des droits identiques, en terme d’union, aux hétérosexuel.le.s. La reconnaissance légale de la filiation sera quant à elle établie officiellement par deux lois promulguées respectivement en 2006 et 2014 : la loi ouvrant l’adoption pour les couples de même sexe et la loi ouvrant la filiation et la reconnaissance des couples lesbiens.

Par ailleurs, ce cadre légal, qui octroie des droits aux LGB dans une perspective d’égalité, protège également le groupe cible de toutes discriminations. C’est ici la loi anti discrimination de 2007 qui intervient, et qui qualifie comme circonstance aggravante tout délit de haine en lien à l’orientation sexuelle. De plus, à la suite du meurtre d’Ihsane Jarfi, le gouvernement belge met en place un plan interfédéral de lutte contre l’homophobie, qui vise à développer une série d’actions concrètes au sein de la société (information spécifique en fonction de groupes cibles, formation des professionnels, actions de sensibilisation…) en partenariat avec les acteurs de terrain.

Ce cadre légal, il est vrai, particulièrement favorable aux LGB, laisse deux ombres au tableau. Parmi les groupes considérés à risque, les hommes ayant des relations sexuelles avec d’autres hommes ne peuvent faire don de leur sang. C’est bien ici une différence de traitement entre les hétérosexuels et les homosexuels. La gestation pour autrui (ce qu’on appelle plus communément « les mères porteuses ») n’est ni autorisée, ni interdite en Belgique. Le cadre légal ne prévoit pas ce point. Cela crée un vide juridique, touchant particulièrement les couples homosexuels désirant un enfant.

Néanmoins, on peut effectivement dire que l’ensemble de ces lois permet aux LGB de vivre dans un cadre favorable à leur inclusion au sein de la société. Et, par inclusion, j’entends bien le fait d’être intégré au même titre que tout citoyen au sein de la société, d’avoir accès aux mêmes droits.

Le Centre interfédéral pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme [3] relève pourtant, dans son rapport 2013, 93 dossiers liés à des dépôts de plainte en lien à des actes d’homophobie, soit 11 dossiers de plus qu’en 2012. Mais, on sait que tous les délits homophobes [4] ne font pas l’objet d’une plainte. On parle ici de dark numbers [5].

Nombreuses sont les victimes d’actes homophobes qui évoquent les craintes qu’elles peuvent ressentir à porter plainte. Parmi les motifs de non signalement sont mentionnés dans l’enquête menée par l’Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne (FRA) le fait que rien ne se passerait ou ne changerait ; l’acte ne vaudrait pas la peine d’être signalé – « cela arrive tout le temps » ; la victime ne souhaite pas révéler son orientation sexuelle ou son identité de genre ; la victime craint que l’incident ne soit pas pris au sérieux ; la victime ne sait pas comment ni où signaler l’incident… [6]. Cette enquête, menée à partir d’un questionnaire placé en ligne et non sur base des dossiers de plainte, permet de prendre en compte un échantillon beaucoup plus large de vécus [7]. L’un des champs mis en évidence dans cette enquête concerne le milieu professionnel, et notamment l’accès à l‘emploi [8].

Le témoignage [9] rapporté par F., un jeune rencontré dans le cadre des permanences d’écoute d’Alter Vision illustre d’ailleurs bien ce point.

F. vient de terminer son cursus au sein d’une haute école de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Il envoie sa candidature au sein de plusieurs établissements scolaires. Après plusieurs mois, ses collègues de promotion ayant tou.te.s trouvé un poste au sein de l’enseignement obligatoire, et lui non, F. s’inquiète. Ayant une connaissance au sein de l’administration, il demande à cette personne de diffuser son CV auprès d’autres établissements. Ce fonctionnaire accepte. Et, après lecture de son CV, lui fait remarquer qu’il devrait ne pas mentionner le fait d’être administrateur d’une association de jeunesse LGBTQI. De son point de vue, cela pourrait refroidir quelques directeurs d’établissements scolaires. Après réflexion, F. accepte d’enlever ce point de son CV.
 
Quelques semaines plus tard, F. se voit confier un emploi dans un établissement scolaire au sein duquel il avait déjà postulé préalablement.

Il s’agit bien ici, à niveau égal, d’un traitement différent entre des individus. L’assimilation émise entre une fonction d’administrateur au sein d’une association (qui nécessite de nombreuses compétences et de savoirs) ayant pour objet la sensibilisation à la diversité des orientations sexuelles et la prétendue orientation sexuelle du sujet, vient ici prédominer sur les compétences professionnelles de l’individu.

Ensuite, quelles sont les corrélations entre la prétendue orientation sexuelle de l’individu et la fonction à laquelle il postule ? La loi anti discrimination interdit ce type de comportement. F. n’a jamais porté plainte. Ce témoignage n’est pas unique et vient bien illustrer les 15% des individus qui se sont sentis discriminés du fait d’être LGBT, mis en évidence par l’enquête de la FRA (voir note de bas de page 8). Il pourrait également illustrer l’augmentation du nombre de dossiers recensés par le Centre, qui est notamment liée à des plaintes en lien avec l’enseignement.

Les situations de rejet, vécues par les jeunes LGBT sont nombreuses et diverses. Elles paraissent parfois banales, mais restent vécues comme un traumatisme par ceux-ci.

Le témoignage de A. vient illustrer d’autres vécus.

A. est un jeune homme de 17 ans né en Belgique. Il y a trois ans, ses parents le soupçonnent d’être homosexuel. A. est alors envoyé en Tunisie dans sa famille afin de le « soigner ». Il y a quatre mois, A. est autorisé à revenir en Belgique, il serait guéri, afin de poursuivre sa scolarité. Pourtant, en Tunisie, A. est tombé amoureux d’un autre garçon. Une relation qu’il vit dans la discrétion. De retour en Belgique, il vit cette relation par le biais d’échange de messages via des réseaux sociaux. Ses parents découvrant ces échanges « invitent » A. à quitter le domicile familial. S’ensuit une série de séjours en centre d’hébergement d’urgence, des visites aux services de l’aide à a jeunesse (SAJ)… Entouré par une équipe de professionnels, A. finit par obtenir sa mise en autonomie.

Alors que le cadre légal protège les LGB, vivre son orientation sexuelle peut être particulièrement compliqué. Dans ce cas de figure, le cadre légal vient se confronter aux codes culturels et conduire à un choc culturel aux conséquences désastreuses. Car au-delà de la rupture avec le lien familial, c’est également la rupture sociale et le décrochage scolaire qui s’ensuivent. A aucun moment A. n’a songé à porter plainte : « Ce sont mes parents, et je les aime... ». C’est bien ici un vécu homophobe, un traitement différent à niveau égal.

Nombreux sont les jeunes homosexuel.le.s et bisexuel.le.s qui vivent des situations similaires au quotidien. De la crainte d’être « découvert » alors qu’on ne le souhaite pas, au rejet direct de la part de l’autre.

Le cadre légal belge est un de ceux qui a le plus, le mieux intégré la diversité des orientations sexuelles dans une perspective d’égalité entre les individus. Néanmoins, les LGB vivent encore des situations de rejet au quotidien. Bien entendu, ce ne sont pas toutes des situations criminelles, mais les faits mêmes les plus banals restent dommageables pour l’individu, notamment chez les plus jeunes, au niveau de leur construction identitaire.

Il est important, qu’au-delà du cadre légal, la diversité des orientations sexuelles soit inclue au sein de notre société. Cette inclusion passe par les modèles et les schémas transmis dès le plus jeune âge. Ces modèles et schémas restent aujourd’hui principalement hétéronormatif. Et par hétéronormativité, j’entends l’ensemble d’institutions, de structures, de relations et d’actions qui (re)produisent et établissent l’hétérosexualité comme quelque chose de « normal », de naturel et de souhaitable. Dans un système hétéronormatif, on présuppose que tout le monde est hétérosexuel : il s’agit d’une sorte de « présomption d’hétérosexualité naturelle », selon l’expression d’Eric Fassin [10], ce qui implique une répartition des individus en deux sexes distincts et exclusifs, présentés comme complémentaires [11].

Quand le responsable d’une association de promotion de la santé dit que, dans le cadre de l’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (EVRAS) dans les écoles, il parle d’homosexualité pendant quelques minutes à la fin de l’animation [12], il ne s’agit pas d’inclusion de la diversité des orientations sexuelles, mais bien d’une animation qui aborde l’homosexualité de manière différente de l’hétérosexualité. Il s’agit, ici aussi, à niveau égal d’un traitement différent, dans les modèles et schémas transmis.

De la même manière quand l’animateur référent d’un groupe de jeunes d’une maison de quartier dit que le mieux est de ne pas parler d’homosexualité aux enfants, pour les protéger [13]. Il s’agit bien ici d’un professionnel de la jeunesse qui réserve un traitement différent entre les orientations sexuelles, et qui transmet ses propres représentations aux jeunes dont il a la responsabilité.

L’ensemble des témoignages et exemples apportés ici, vient illustrer, au combien, au-delà du cadre légal, l’inclusion de la diversité des orientations sexuelles n’est pas encore un fait en soi. Ils montrent aussi le rôle joué par l’hétéronormativité dans cette non inclusion.

Notes

[1La Belgique a particulièrement investi dans le champ légal favorable aux homosexuel.le.s, mais il n’en est pas de même pour les transidentitaires, qui, du point de vue légal vivent encore des discriminations à part entière.

[2Fl. Leroy-Forgeot, C.Mécary, Le couple homosexuel et le droit, Editions Odile Jacob, Paris, 2001.

[3Le Centre interfédéral pour l’égalité des chances est un service public interfédéral, indépendant, expert en politique d’égalité et de non-discrimination. Sa mission, fondée sur les droits humains, est de promouvoir l’égalité des chances et des droits pour l’ensemble des citoyen-ne-s et de lutter contre les discriminations. Il exerce cette mission dans une optique de développement collectif et un esprit de dialogue, de collaboration et de respect. (source : www.diversite.be/mission-statement)

[4Par acte d’homophobie, on parle de délit de haine sur base de l’orientation sexuelle de l’individu visé par ledit délit.

[5« Un autre obstacle entravant la lutte contre la violence homophobe est ce que l’on appelle le « dark number » (ou chiffre noir) : on ne dispose pas de chiffres fiables sur le nombre de cas de violence homophobe. Une première explication tient au fait que la police et le parquet n’enregistrent les faits d’homophobie que depuis 2007. Par conséquent, d’une part, l’enregistrement en soi connait encore des maladies de jeunesse, et d’autre part, tous les policiers ne songent pas à indiquer le code spécifique pour l’homophobie. », in Discrimination. Diversité. Rapport annuel 2012, Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, Bruxelles, 2013, pp. 120 – 121.

[6Enquête sur les personnes lesbiennes, gay, bisexuelles et transgenres dans l’Union Européenne, Agence des droits fondamentaux de l’Union Européenne (FRA), 2013, p.21.

[793079 individus ont répondu à l’enquête de la FRA, dont 2901 belges (424 femmes lesbiennes, 1998 hommes gays, 132 femmes bisexuelles, 182 hommes bisexuels et 165 transgenres). European Union lesbian, gay, bisexual and transgender Survey. Main results, 2013, p.117.

[815% des participants belges à l’enquête de la FRA, se sont sentis discriminés du fait d’être LGBT au cours des 12 derniers mois pendant leur recherche d’emploi et/ou sur le lieu de travail.

[9Les témoignages exploités dans le cadre de cet article sont issus des entretiens d’écoute de l’organisation de jeunesse LGBTQI Alter Vision.

[10L’inversion de la question homosexuelle, Paris, Editions Amsterdam, 2008, p. 221

[11L. Hertzog et E. Devieilhe, Hétéronormativité, sexualité et injonction à la maternité : quelles pratiques d’émancipation ? Université de Caen, 2014.

[12Intervention du responsable d’un Centre d’Action Laïque dans le cadre de la conférence « Homosexualité : mythes, clichés et réalités » organisée par la commune d’Ecaussinnes le 18 septembre 2013.

[13Remarque faite par l’animateur référent de la Maison de jeune Saint-Servais de Namur en guise de conclusion à un ciné-débat mené par l’équipe d’animation d’Alter Vision au sein de la maison de quartier le vendredi 24 octobre 2014.