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Richesses Politique

Le prix de l’eau à Bruxelles ne respecte pas le principe du pollueur-payeur

22 avril 2024 Xavier May

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Cet article est un résumé de l’article du même nom publié dans la Revue scientifique Brussels Studies.

À Bruxelles, le prix de l’eau est approuvé par Brugel qui est l’autorité bruxelloise de régulation dans les domaines de l’électricité, du gaz et du contrôle du prix de l’eau. Ce prix est fixé selon l’Ordonnance Cadre Eau qui impose le cout-vérité de l’eau conformément au principe du pollueur-payeur. L’application du cout-vérité de l’eau signifie que chaque utilisateur doit supporter tous les couts résultant de sa consommation d’eau : les consommateurs doivent donc financer la protection des captages, la production et la distribution de l’eau potable mais aussi la collecte des eaux usées et leur épuration. Le principe du pollueur-payeur quant à lui oblige celui qui pollue à prendre en charge les dépenses directes et indirectes occasionnées par les mesures de prévention, de réduction et de réparation des pollutions qu’il a causées.

En théorie, le prix de l’eau à Bruxelles est donc déterminé sur base de ces deux principes. En pratique, les choses sont quelque peu différentes…

Ces dernières années, le prix de l’eau a fortement augmenté (15 % en 2022 et 14,5 % en 2023). En parallèle, une aide aux ménages précaires a été mise en place : l’intervention sociale pour les Bénéficiaires de l’Intervention Majorée [1] (BIM), soit environ un quart des ménages bruxellois. Toutefois, l’intervention sociale engendre d’importants problèmes de non-recours : certaines catégories de personnes (comme les sans-papiers ou les étudiants non domiciliés dans leur logement) n’y ont pas droit, 1/4 des Bénéficiaires de l’Intervention Majorée ne reçoivent en réalité pas l’intervention sociale alors qu’ils ou elles y ont droit, etc. Les hausses du prix de l’eau affectent par conséquent le budget de nombreux ménages bruxellois à faibles revenus. On peut dès lors se demander s’il était nécessaire et juste de pratiquer de telles hausses de prix sur un bien de première nécessité aussi indispensable que l’eau.

En réalité, ces hausses du prix de l’eau résultent des besoins de financement de l’intercommunale Vivaqua qui gère le service de l’eau à Bruxelles. Et, aucune piste de financement alternative à l’augmentation tarifaire n’a été envisagée sérieusement jusqu’à aujourd’hui.

Que couvre le prix de l’eau ?

En 2024, chaque ménage connecté au réseau de distribution d’eau paie une redevance annuelle d’abonnement de 34,60 € et l’eau est facturée 4,60 € par m³. Pour les consommateurs non domestiques, un multiplicateur est appliqué à la redevance annuelle de 32,63 € en fonction du calibre du compteur et l’eau coute 5,28 €/m³. Ces montants, entièrement perçus par Vivaqua, couvrent la production et la distribution d’eau potable ainsi que la collecte des eaux résiduaires urbaines, leur épuration et la lutte contre les inondations.

Comme Bruxelles dispose d’un réseau d’égouts unitaire, outre la plupart des eaux usées domestiques et non domestiques, les égouts et les collecteurs convoient aussi les eaux claires. Celles-ci sont constituées de la grande majorité des eaux de ruissèlement par temps de pluie (les eaux pluviales), mais aussi de certaines eaux de drainage, de ruisseaux, d’étangs, de sources et de suintements (appelées eaux claires parasites). Les eaux claires et les eaux usées sont mélangées dans les égouts et envoyées vers les stations d’épuration.

Schéma illustrant la nature des eaux collectées par les égouts en Région de Bruxelles-Capitale (volumes annuels en millions de m³)

Les flux collectés par les égouts sont constitués de volumes vendus par Vivaqua (60 millions de m³), d’eaux claires parasites (± 29 millions de m³), d’eaux pluviales (± 33 millions de m³) et d’eaux usées provenant de Flandre en raison de la configuration du réseau hydrographique (± 18 millions de m³). Tous ces chiffres constituent des ordres de grandeur et varient d’une année à l’autre en fonction de la pluviométrie.

Environ 130 millions de m³ aboutissent chaque année dans les deux stations d’épuration bruxelloises et 10 millions de m³ sont déversés dans la Senne et le Canal sans aucun traitement lors des épisodes de pluie intense. Ces volumes rejetés directement dans le réseau hydrographique sont principalement composés d’eaux de pluie mais sont néanmoins mélangés à des eaux usées et à des eaux claires parasites.

Par conséquent, si on exclut les eaux usées provenant de Flandre pour lesquelles la Région bruxelloise est indemnisée, un peu plus de la moitié des eaux présentes dans les égouts sont des eaux claires sans lien avec les volumes d’eau vendus par Vivaqua.

En pratique, excepté un subside alloué par la Région à l’opérateur public Hydria qui gère notamment les deux stations d’épuration bruxelloises, ce sont les consommateurs d’eau qui financent par le biais de la facture d’eau la collecte et l’épuration de toutes les eaux qui transitent par les égouts – en ce compris les eaux de pluie et les eaux claires parasites – mais aussi la lutte contre les inondations.

Que dit le principe du pollueur-payeur ?

Le principe du pollueur-payeur implique que les pollueurs ne sont responsables que de la pollution à laquelle ils contribuent. Ils n’ont pas à payer pour l’élimination et la prévention de la pollution à laquelle ils ne participent pas.

Dès lors, s’il est légitime que les consommateurs d’eau paient pour la collecte et l’épuration des eaux usées résultant de leur consommation d’eau, en revanche, il n’est pas justifiable de leur imputer les montants destinés à la lutte contre les inondations, la collecte et l’épuration des eaux de pluie et des eaux claires parasites. En d’autres termes, le principe du pollueur-payeur est ici détourné : les acteurs dont il est le plus simple d’obtenir une participation financière sont désignés comme pollueurs, sans véritable lien entre eux et la pollution. En réalité, il s’agit d’une taxe déguisée, intégrée au prix de l’eau et servant à financer sa gestion.

Une telle taxe est intrinsèquement inéquitable, puisqu’elle fait contribuer les consommateurs en fonction de leur consommation d’eau et non en fonction de leur capacité contributive. De plus, comme la consommation d’eau par personne est identique quelle que soit la richesse du ménage [2], la consommation d’eau d’un ménage est surtout proportionnelle à sa taille. Dès lors, les grands ménages paient davantage pour l’assainissement des eaux de pluie, des eaux claires parasites et la lutte contre les inondations que les plus petits ; ce qui n’a aucun sens en termes d’équité. De même, les activités économiques consommant beaucoup d’eau sont arbitrairement mises davantage à contribution.

Comment rendre le prix de l’eau plus juste ?

Selon une estimation extrêmement prudente, au minimum 20 % du prix de l’eau ne devrait pas faire partie de la facture d’eau des consommateurs (domestiques et non domestiques). Ces montants doivent être financés autrement. Le financement de la lutte contre les inondations, la collecte et l’épuration des eaux claires sont des services d’intérêt général et doivent être supportés par la collectivité. Le plus logique serait de les faire financer par le budget de la Région plutôt que par la facture d’eau du consommateur.

Certes, la santé financière de la Région de Bruxelles-Capitale n’est pas favorable mais l’eau est un bien de première nécessité (reconnu comme droit humain par l’Assemblée générale des Nations Unies). Si des arbitrages financiers doivent être effectués, garantir un meilleur accès à l’eau pour touts doit indéniablement faire partie des priorités !

Par ailleurs, à politique inchangée, le prix de l’eau est voué à encore augmenter sensiblement au cours des prochaines années. En effet, Vivaqua est en difficulté financière, des investissements importants dans le réseau d’égouttage doivent être consentis et des normes de qualité plus strictes de l’eau vont entrer en vigueur dans les prochaines années. En outre, comme la consommation d’eau des ménages diminue dans le temps (équipements domestiques plus performants, changements d’habitude…), il faudra augmenter le prix de l’eau pour compenser la baisse des recettes engendrée par la diminution des volumes vendus.

Il est par conséquent urgent de repenser le financement du service de l’eau et d’appliquer véritablement le principe du pollueur-payeur à Bruxelles. Il est inconcevable de conserver une taxe déguisée sur un bien de première nécessité tel que l’eau ; en particulier dans une région où 31 % des Bruxellois disposent d’un revenu inférieur au seuil de risque de pauvreté.

Notes

[1Il s’agit d’un statut assigné par la mutuelle aux personnes en risque de pauvreté sur base du statut socioéconomique ou de faibles revenus.

[2cf. Xavier May, Pauline Bacquaert, Jean-Michel Decroly, Léa de Guiran, Chloé Deligne, Pierre Lannoy et Valentina Marziali, « Pourquoi ne pas en finir avec la tarification progressive de l’eau à Bruxelles ? », Brussels Studies, Collection générale, n° 156, mis en ligne le 09 mai 2021. URL : http://journals.openedition.org/brussels/5494