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Richesses Politique

Le saut d’index … êtes-vous parmi les victimes ?

23 mai 2016 Giuseppina Desimone

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Le saut d’index a fait couler beaucoup d’encre lors de son entrée en vigueur en avril 2015 et ensuite, plus rien ! Or, en juillet et août, allocataires sociaux et travailleurs ont pour la plupart perdu 2% de pouvoir d’achat. Certains secteurs ont été indexés selon le système qui est propre à leur secteur, mais tôt ou tard ils subiront aussi le saut d’index de 2%.

Il faut dire que le système est un peu compliqué. Sans entrer dans les détails techniques, cet article a pour ambition d’expliquer le mécanisme du saut d’index.

Le B-A BA de l’indexation

On ne peut pas parler de saut d’index ou d’indexation automatique sans parler d’indice des prix à la consommation, d’indice-santé, d’indice lissé, d’indice-pivot...

L’indice des prix à la consommation est un instrument de mesure de l’évolution du coût de la vie, utilisé depuis 1920. En pratique, on calcule les prix d’un panier de biens et de services représentatifs des habitudes de consommation des ménages belges. Chaque mois, le Service Public Fédéral Économie calcule ensuite l’indice en comparant ces prix à ceux du mois précédent. L’indice est d’autant plus élevé que la hausse de prix (l’inflation) sur la période considérée ; un indice de 100 signifie que les prix n’ont pas changé.

L’indice santé, c’est l’indice des prix à la consommation calculé sur la base d’un panier dont on a exclu les carburants, l’alcool et le tabac. C’est celui qui est utilisé pour calculer l’indexation des salaires et des allocations. Cet indice a été mis en place en 1994 pour dissocier l’indexation des salaires de la fluctuation des prix des produits pétroliers, entre autres, et ainsi ralentir l’indexation.

L’indice santé lissé, c’est la valeur moyenne de l’indice santé sur les quatre derniers mois. C’est l’indice santé lissé qui sert de base pour l’indexation automatique des salaires et des allocations sociales.

L’indice-pivot est la valeur, fixée au préalable, que doit atteindre l’indice santé lissé pour déclencher l’indexation automatique des salaires et allocations. Actuellement, l’indice-pivot est de 101,02, ce qui signifie que l’indexation automatique devrait être appliquée lorsque les prix ont augmenté de 2% par rapport aux prix de novembre 2012 (dernier dépassement de l’indice-pivot).

Indexation automatique ?

L’indexation automatique est le mécanisme qui permet d’adapter les salaires ainsi que les allocations sociales et les traitements des fonctionnaires à l’augmentation des prix de manière à ce que personne ne perde en pouvoir d’achat. L’indexation automatique est un système de protection du pouvoir d’achat des ménages. Chaque secteur (via les commissions paritaires) a son propre système d’indexation automatique.

Schématisons :
 
Marianne a fait les mêmes courses en 2007 et en 2014 mais … son ticket de caisse n’est pas le même. En 2007, elle a payé 682,94 euro et en 2014, ce même caddie lui a coûté 734,81 euro. Soit 7,6% plus cher.
 
Si son salaire n’était pas indexé automatiquement, son pouvoir d’achat aurait diminué. Avec l’adaptation automatique des salaires à l’évolution du coût de la vie, Marianne a gardé le même pouvoir d’achat.

Saut d’index : comment ça marche ?

Certains appellent, à tort, « saut d’index » le dépassement de l’indice-pivot et l’indexation des traitements, salaires et allocations sociales qui s’ensuivent. Le « saut d’index » désigne en réalité le non-respect de ce mécanisme.

Le gouvernement Michel a décidé d’imposer un saut d’index de 2% à l’ensemble des travailleurs, fonctionnaires et allocataires sociaux de notre pays. Concrètement, depuis le mois d’avril 2015, l’indice-santé lissé est bloqué à son niveau de mars 2015, soit 100,66.

Parallèlement, l’indice santé lissé sans blocage, lui, continue d’être calculé chaque mois. Il est multiplié par 0,98 pour obtenir un nouvel indice, appelé indice de référence. Celui-ci sert à déterminer la durée du blocage de l’indexation : le blocage cessera dès que l’indice de référence aura dépassé 100,66. L’indexation reprendra alors normalement. Comme l’indice de référence correspond à 98 % de l’indice non bloqué, au terme de la période de blocage, ce seront bien 2 % d’indexation qui auront été perdus.

Pour le mois de janvier 2016, cet indice de référence était de 100,25.

Comment se fait-il que malgré le blocage de l’indexation, les salaires dans certains secteurs sont quand même indexés ?

Cela tient aux systèmes propres à chaque secteur. Certaines indexations suivent un autre rythme. Les employés des fabrications métalliques (CP. 209), par exemple, voient leur salaire indexé une fois par an au mois de juillet, sur base de la comparaison de l’indice santé lissé de juin de l’année en cours avec l’indice santé lissé de juin de l’année précédente.

L’indice était en juin 2014 de 100,47. Sans blocage, il aurait été à 101,09 en juin 2015. Vu que leur indice a dépassé en juillet de 0,43 point l’indice bloqué à 100,66, ils ont bénéficié d’une indexation de 0,19% au lieu des 0,62% auxquels ils avaient droit. Ils ont perdu 0,43% de salaire. L’année prochaine, ils perdront encore une partie de leur indexation et ce jusqu’à ce que les indexations perdues atteignent, pour eux également, les 2%.

Les pertes subies

En juin 2015, l’indice santé lissé s’est donc élevé à 100,66, son niveau d’avril 2015.
Cependant, d’après nos calculs, si l’indice santé lissé n’avait pas été bloqué, il se serait élevé, en juin 2015, à 101,09, c’est-à-dire au-delà de 101,02 qui est l’indice-pivot (qui déclenche l’indexation automatique). Suite à ce dépassement, les allocations sociales, les traitements des fonctionnaires et les salaires des travailleurs de certains secteurs auraient dû être indexés de 2%.

Dans la pratique, cela signifie qu’en juillet et août 2015, au total, plus de 8 millions de personnes auraient dû voir leur revenu indexé de 2%. Étant donné le saut d’index, cela n’a pas été le cas et elles ont perdu cet argent définitivement.

En effet, le saut d’index, ce n’est pas seulement la perte de 2% de pouvoir d’achat au moment où l’indice-pivot est dépassé, c’est aussi une perte à très long terme puisque même les indexations futures porteront sur un montant amoindri de 2%. Et cela se répercute jusqu’à la pension.

Sur toute une carrière, le saut d’index équivaut à 1 an de salaire !

Ceci est l’illustration concrète de l’impact du saut d’index. Soulignons aussi que cette perte de pouvoir d’achat ne sera jamais récupérée ni compensée (pas même par les corrections dites « sociales ») pour les allocataires sociaux, les travailleurs et les fonctionnaires.

Nous voyons dès lors comment le saut d’index a un effet cumulatif sur le pouvoir d’achat et plus généralement, sur la qualité de vie et l’accès des ménages à la consommation et aux services.