La discrimination liée au sexe à travers les perceptions des citoyens en Wallonie
6 mars 2017
En Belgique, on compte 19 critères repris dans la législation anti-discrimination [1]. Le sexe constitue l’un de ces critères de discrimination, repris notamment dans le Décret wallon du 6 novembre 2008 relatif à la lutte contre certaines formes de discrimination. À côté de l’existence de décrets, de lois, de plans d’actions de lutte contre les discriminations, nous avons voulu investiguer le phénomène des discriminations à partir de la perception des citoyens. Pour ce faire, nous montrerons, en prenant appui sur les données de l’enquête Baromètre social de la Wallonie (BSW) [2], qu’il existe un décalage entre les perceptions sur la discrimination liée au sexe et les faits. Le sexe, s’il agit comme un critère de discrimination pour les femmes, ne l’est pas pour les hommes. Cependant, cela n’amène pas de différence, selon le sexe, dans la perception des discriminations.

RobertSchrader@flickr
Les perceptions des discriminations
Dans l’enquête BSW, une question générale portait sur la présence de discriminations [3] dans notre société. Le graphique suivant montre que les discriminations perçues comme les plus répandues sont celles liées à l’origine ethnique (70%) et à la religion ou aux convictions (67%). La discrimination liée au sexe apparaît, quant à elle, en avant-dernière position, suivie des discriminations liées à l’âge, également peu répandues dans les représentations des citoyens. En ce qui concerne la faible importance de la discrimination liée au sexe dans les représentations collectives, on fera remarquer que l’on retrouve des résultats relativement semblables au niveau européen [4]. On peut donc dire que la grande majorité des répondants (71%) en Wallonie, mais également en Europe, considère que la discrimination liée au sexe est un phénomène « plutôt rare ».
Ce qui surprend, dans la perception par rapport aux discriminations, c’est l’absence de différence (statistiquement significative) entre la perception des hommes et des femmes en ce qui concerne les discriminations liées au sexe : 26% des hommes estiment que la discrimination liée au sexe est plutôt répandue contre 31% des femmes. Les femmes ne portent donc pas un regard différencié sur la discrimination liée au sexe alors que, nous le verrons, elles sont pourtant les premières victimes de cette discrimination.
L’égalité des droits des femmes et des hommes : un principe partagé en Wallonie
Si la discrimination liée au sexe semble être, aux yeux des citoyens, un phénomène plutôt rare, on peut dès lors se demander s’ils considèrent ce type de discrimination comme acceptable ou non. À cette question, la grande majorité des citoyens en Wallonie (91%) considère que l’égalité des droits des femmes et des hommes est une caractéristique essentielle dans une démocratie : les hommes comme les femmes soutiennent avec force le principe d’égalité dans les droits. Notons cependant que ce principe est un peu plus soutenu par les femmes que par les hommes. Dans les principes partagés par les citoyens, l’idée d’une supériorité d’un sexe sur l’autre est donc massivement rejetée.

Les discriminations vécues : des différences entre les femmes et les hommes
Nous avons mesuré les discriminations qu’une personne a subies récemment. Il apparaît que presque un citoyen sur cinq déclare avoir fait l’objet d’une ou plusieurs discriminations au cours des 12 derniers mois. Ces résultats sont d’autant plus interpellant qu’ils portent sur une courte période d’observation.

Une analyse sexuée de ces résultats apporte deux informations supplémentaires :
- Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à être victimes de discrimination (20% contre 12% pour les hommes) ;
- Les discriminations sont plus fréquentes chez les femmes que les hommes, sur une même période d’observation : au cours des 12 derniers mois, 13% des femmes ont subi plusieurs fois une discrimination contre 8% des hommes.
En outre, les résultats révèlent que la discrimination liée au sexe est un phénomène qui touche exclusivement les femmes. Elle apparaît, dans les expériences vécues par les femmes, comme le premier critère de discrimination (22%). La deuxième raison qui revient le plus souvent chez les femmes victimes est liée à l’âge pour 17% d’entre elles. Au contraire, chez les hommes victimes de discrimination, le premier critère est lié à l’origine ethnique (24%), suivi de l’âge (11%). Les femmes sont donc d’abord victimes de discrimination en raison de leur sexe.
Décalage entre les représentations et le vécu des discriminations
D’une certaine façon, on peut dire que l’on retrouve, dans les représentations des hommes en matière de discrimination, une sorte d’adéquation entre leurs perceptions sur l’ampleur de certaines discriminations et leur vécu en tant que victimes. Rappelons que les discriminations liées à l’origine ethnique apparaissaient en première position dans les formes de discriminations perçues comme étant les plus répandues en Wallonie (70%). C’est également ce critère que les hommes victimes citent le plus. Par contre, chez les femmes, on ne retrouve pas cette même articulation entre le regard qu’elles portent sur la discrimination et leur vécu. En effet, le sexe étant, pour les femmes, la principale cause de discrimination, on aurait pu penser que leurs perceptions sur l’ampleur des discriminations (notamment liées au sexe) auraient été sensiblement différentes de celles des hommes. Pourtant, les femmes, qui représentent un groupe discriminé, ne se positionnent pas différemment des hommes dans leurs perceptions l’égard de la discrimination selon le sexe.
On peut expliquer ce « décalage » en faisant référence notamment à la théorie de justification du système qui postule que les membres du groupe discriminé tendent à percevoir la société comme équitable [5], en quelque sorte en intériorisant et acceptant leur position dominée. Le poids des croyances collectives partagées par un certain nombre de femmes et d’hommes sur les rôles et attributions des femmes et des hommes dans le système social contribuent sans doute à expliquer en partie les raisons pour lesquelles les femmes ne relèvent pas davantage les situations de discrimination liées au sexe. On pourrait également faire l’hypothèse que l’absence de sanction systématique par rapport à certaines situations de discrimination sur le lieu du travail, mais aussi dans la société contribue à légitimer ou banaliser des situations de discrimination à l’égard des femmes. Pour pouvoir dénoncer les discriminations, encore faut-il avoir conscience, en tant que membre d’un groupe, de faire l’objet d’une situation discriminante.
Le sexisme sur le lieu de travail.
Les témoignages relatifs aux expériences de discriminations rapportées dans le monde du travail confirment encore les discriminations à l’égard des femmes : la grossesse, la parentalité, les enfants, sont autant de facteurs discriminants dans la carrière professionnelle des femmes voire même dans le maintien en emploi. En Wallonie, plus d’une femme sur quatre (28%) déclare avoir été témoin de la situation de femme n’ayant pas retrouvé leur emploi ou un emploi similaire suite à un retour de congé de maternité. Quant aux propos à connotation sexuelle ou blagues sexistes, 48% des actifs interrogés, soit presque une personne sur deux, déclarent avoir été témoins de ce type de discrimination sur son lieu de travail. Il s’agit d’un pourcentage très important alors que ces attitudes semblent rarement faire l’objet de sanction puisque seuls 29% des répondants ont été témoins d’un rappel à l’ordre de l’auteur d’une blague ou de propos sexistes par son supérieur.

Notes
[1] Pour plus d’information : http://unia.be/fr/criteres-de-discrimination/les-19-criteres-de-discrimination
[2] Le BSW est une enquête d’opinion récurrente réalisée par l’Institut Wallon de l’Évaluation, de la Prospective et de la Statistique (IWEPS). En 2016, 1410 individus (731 femmes, 679 hommes), âgés de 18 ans et plus, ont été interrogés en face à face sur une série de thématiques et, en particulier, sur les discriminations liées au genre et à l’origine ethnique. Pour plus d’information concernant cette enquête, voir le lien suivant : http://www.iweps.be/barometre-social
[3] Pour s’assurer de la bonne compréhension des questions sur les discriminations, la définition suivante a été donnée au répondant :
« On parle souvent de discrimination lorsqu’une personne est traitée de façon injuste ou négative par rapport à d’autres, en raison d’une différence qui peut être liée à sa couleur de peau, son sexe, sa nationalité ou encore, par exemple, son apparence physique. »
[4] Discrimination in the UE in 2012, Spécial Eurobarometer 393, November 2012.
[5] Jost,J.T., & Banaji,M. R.(1994). The role of stereotyping in system-justification and the production of false consciousness. British journal of social psychology, 33 (1), 1-27.