Les femmes encore et toujours aux fourneaux
27 février 2015
Seattle Municipal Archives@flickr
En Belgique, 15,3% des femmes ont comme occupation principale d’être au foyer, alors que ce n’est le cas que de 3,4% des hommes. Si l’on considère uniquement les personnes au foyer, on voit que 82,8% d’entre elles sont des femmes [1]. Ces éléments sont une bonne indication du fait que les deux sexes n’ont pas les mêmes activités dans notre société. Un autre article de l’Observatoire des inégalités montre par exemple que les hommes sont beaucoup plus souvent impliqués dans des activités de supervision sur leur lieu de travail que les femmes [2]. Je vais continuer à aborder cette même question de la division du travail, mais en m’intéressant ici au travail domestique. Se focaliser sur le travail domestique est important, celui-ci étant généralement considéré comme un travail de moindre valeur que le travail rémunéré [3]. L’idée est de voir comment se répartit le temps du travail domestique – cuisine, vaisselle, ménage, lessive, repassage, courses, travaux d’entretien divers [4] – pour les hommes et femmes qui sont en couple. Le fait de considérer uniquement les personnes en couple est une contrainte de l’enquête (la question sur le temps de ménage n’étant posée qu’aux personnes en couple). Néanmoins, cela permet de sélectionner spécifiquement les personnes devant s’accorder dans cette organisation collective qu’est le couple (impliquant une répartition plus ou moins égalitaire des tâches entre ses membres).
Entrons tout de suite dans le vif du sujet. Le graphique suivant montre le nombre moyen d’heures passées par semaine aux tâches domestiques [5] selon le sexe pour trois catégories de personnes : les travailleurs à temps plein, les sans emploi (demandeurs d’emploi ou personnes au foyer) et les retraités [6]. La distinction entre travailleurs temps plein et sans-emploi a pour but de comparer des situations semblables : il s’agit de voir comment s’organise le travail domestique des hommes et femmes lorsqu’ils ont – ou non – la contrainte de suivre un rythme imposé par un travail rémunéré. La distinction entre sans-emploi et retraités permet quant à elle de prendre en compte d’éventuels effets d’âge ou de génération (voir plus bas).
Que voit-on dans ce graphique ?
Premièrement, chose marquante, on constate que, dans tous les cas, les femmes passent plus de temps au travail domestique que les hommes. C’est le cas des femmes en temps plein, qui passent près de deux fois plus de temps aux tâches ménagères que les hommes en temps plein ! Cela signifie que, même lorsque les femmes sont occupées en dehors de la maison, ce sont tout de même elles qui font la plus grande part du travail domestique.
Deuxièmement, on voit que le temps passé aux tâches domestiques varie peu pour les hommes, qu’ils soient en temps plein, retraités, au chômage ou au foyer. On passe de 7,6 heures par semaine pour les temps plein à plus ou moins 11 heures pour les sans emploi et les retraités. La situation des femmes est toute différente : leur temps passé au ménage explose lorsqu’elles ont plus de temps disponible dans leur foyer, la différence étant d’une douzaine d’heures ! Autrement dit, ce sont parmi les personnes qui ont le plus de temps disponible dans leur foyer que l’inégalité de répartition du temps de travail domestique est la plus importante : si parmi les personnes travaillant à temps plein, les femmes passent deux fois plus de temps que les hommes aux tâches ménagères, ce rapport s’élève à deux et demi pour les sans-emploi et les retraités.
Troisièmement, on note qu’il n’y a pas de différence significative entre les retraités et les sans-emploi. On aurait pu penser à un partage plus égalitaire des tâches parmi les générations plus jeunes (dans l’enquête, les sans emploi ont en moyenne 49 ans et les retraités 72 ans), les idées féministes ayant fait leur chemin, mais ce n’est vraisemblablement pas le cas.
Les inégalités en terme de répartition du travail domestique apparaissent ainsi transversales à de multiples situations. Dans tous les cas, elles sont suffisamment importantes pour renforcer l’affirmation que l’égalité entre les hommes et les femmes est encore bien loin d’être une réalité.
Notes
[1] Toutes les données utilisées dans cet article proviennent de l’enquête The European Social Survey (ESS) de 2010. La base de données est librement accessible sur le site : http://www.europeansocialsurvey.org.
[2] Voir l’article Sexe, pouvoir et emploi en Belgique
[3] Voir l’entrée « Travail domestique » dans le Dictionnaire critique du féminisme, Paris, Presses Universitaires de France, 2004.
[4] Il faut cependant noter que les informations sur le travail de soin et d’éducation des enfants ne sont pas disponibles dans les données utilisées.
[5] Ce nombre d’heures de ménage par semaine est estimé par les répondants. Il y a donc peut-être des phénomènes de sur ou sous-estimation de la part de ceux-ci. Néanmoins, les résultats présentés ici sont cohérents avec ceux d’autres enquêtes plus précises. Voir par exemple le rapport Genre et emploi du temps de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes : http://igvm-iefh.belgium.be/fr/publications/gender_en_tijdsbesteding.jsp
[6] Les travailleurs en temps plein sont définis comme ayant un contrat de travail d’au moins 30 heures par semaine.