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Politique Cadre de vie

Haren, une nouvelle prison difficile d’accès

22 octobre 2024 Dobruszkes Frédéric, Grandjean Martin

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Cet article met l’accent sur un des problèmes de la nouvelle prison de Haren, sa difficulté d’accès en transports publics. Ce problème d’accès ne concerne pas seulement les visites familiales mais complique aussi considérablement le travail social mené par des acteurs venant de l’extérieur.

Beaucoup a déjà été dit sur la nouvelle prison de Haren à Bruxelles, aussi appelée « village pénitentiaire de Haren » [1]. Progressivement ouverte à partir de 2022, celle-ci est présentée par le SPF Justice comme :

la plus grande prison du pays, avec un espace pour 1190 détenus. La prison moderne est un véritable village composé de plusieurs bâtiments, chacun ayant leur propre fonction. Les détenus séjournent en petits groupes dans des unités de vie, ils bénéficient par conséquent d’une plus grande autonomie et sont alors préparés au mieux afin de réussir leur réinsertion dans la société [2].

La construction de la prison de Haren a été décidée dans le cadre du masterplan « Détention et internement dans des conditions humaines » de 2008. Elle doit à terme remplacer les prisons de Saint-Gilles, Forest et Berkendael (mais cette dernière sera conservée pour des condamnés à une peine de moins de trois ans d’emprisonnement).

On ne refera pas ici les débats sur une politique carcérale qui consiste tout à la fois à augmenter la capacité d’emprisonnement et le nombre de détenus [3] ; sur la pertinence de l’emprisonnement carcéral à remplir les objectifs en termes de récidives et de dissuasion ; sur les inégalités sociales face à la justice ; ou sur le partenariat public-privé pour sa conception, construction, financement et entretien. Partant du constat que la prison de Haren existe et que des individus y sont détenus, cet article s’intéresse aux conditions d’accès du site en transport public urbain pour les visiteurs et visiteuses.

Une délocalisation aux portes de la ville

Inaugurée en 2022, la prison de Haren a été construite aux confins de la ville, en bordure nord-est de la limite Région de Bruxelles-Capitale/Région flamande et à seulement 2 km de la principale piste de décollage de Brussels Airport. C’est là une rupture majeure par rapport aux prisons de Saint-Gilles, Forest et Berkendael. Ces anciennes prisons sont en effet localisées dans des quartiers urbains densément peuplés, à proximité du centre-ville. De ce fait, elles sont desservies par de nombreuses lignes de transports publics (bus 37, 48 et 54, trams 3, 4, 18, 81, 92 et 97). A contrario, la prison de Haren n’est desservie que par une unique ligne urbaine, le bus 65 [4].

Une forte augmentation des temps d’accès en transport public

La combinaison d’une localisation périphérique et de la desserte par une seule ligne STIB ne peut que faire augmenter le temps qu’il faut pour rejoindre la prison de Haren depuis la plupart des quartiers bruxellois. Pour objectiver la différence d’accessibilité entre anciennes et nouvelle prisons, nous avons estimé le temps de trajet avec le réseau STIB depuis tous les arrêts de la STIB et les prisons de Saint-Gilles et Haren [5].

La figure ci-dessous cartographie les résultats par arrêt de départ (chaque point est un arrêt du réseau de la STIB). La couleur verte souligne les temps de parcours le plus faibles, la couleur rouge les temps de parcours les plus longs. La comparaison des cartes montre à quel point l’accès à la prison de Haren est, pour la plupart des quartiers bruxellois, plus long voire beaucoup plus long que l’accès à la prison de Saint-Gilles.

Temps de parcours en minutes pour arriver aux prisons avec le réseau de la STIB.

En moyenne, il faut 70 minutes pour accéder à la prison de Haren contre 42 minutes pour la prison de Saint-Gilles. Le tableau ci-dessous donne quelques exemples plus précis depuis une sélection de points de départ. Seuls les quartiers du nord-est plus ou moins proches de la prison de Haren et de la ligne de bus 65 sont gagnants. Depuis tous les autres quartiers, y compris les grandes gares SNCB, se rendre à la prison de Haren prend plus de temps, voire beaucoup plus de temps, qu’à la prison de Saint-Gilles. D’ailleurs, le SPF Justice l’a bien compris : il a publié en 2022 un appel d’offre pour l’exploitation d’une navette quotidienne destinée à son personnel entre la gare de Bruxelles-Nord et la prison [6].

Temps de parcours en minutes pour arriver aux prisons avec le réseau de la STIB
Point de départPrison de Saint-GillesPrison de HarenComparaison
Moyenne des 2174 arrêts du réseau STIB 42 70 +28
Bockstael 45 63 +18
Cureghem 31 82 +51
Gare Centrale 28 59 +31
Gare de Schaerbeek 49 34 –15
Meiser 47 38 –9
Peterbos 48 93 +45
Place Dailly 44 41 –3
Place Flagey 18 77 +59
Place St-Denis 18 95 +77
Simonis 29 65 +36
Note : arrivée à 9h un jour de semaine, réseau d’octobre 2022

Sous la pluie

Au-delà de ces chiffres, il est également intéressant de relever les conditions de déplacement sur le plan du confort et de la sécurité. Arrivant de Bruxelles, vous descendrez à l’arrêt Kasteel Beaulieu à Machelen [7]. Mieux vaut que le temps soit clément car il n’y a pas d’abribus pour vous réfugier en cas de pluie. Après avoir traversé le carrefour, vous marcherez le long de la Woluwelaan et ses entrepôts logistiques. N’espérez pas trouver un café si vous êtes trop tôt ou si vous souhaitez retrouver d’autres visiteurs ou visiteuses. Au retour, l’arrêt du bus 65 direction Gare Centrale n’est pas plus équipé d’abribus [8]. Au mieux les arbres atténueront un peu votre exposition à la pluie (voir photo) ou au soleil mais ne vous permettront pas de vous asseoir durant l’attente de votre bus. Or si la fréquence des bus sur la ligne 65 est bonne en heure de pointe, elle peut être plus faible en heure creuse et durant les week-ends et vacances scolaires (4-5 bus/heure).

L’arrêt Kasteel Beaulieu pour repartir vers Bruxelles.

Quel lien entre les détenus/détenues et l’extérieur ?

En conclusion, la délocalisation des prisons centrales aux portes de la ville se traduit par une dégradation marquée des conditions d’accès pour la plupart des visiteurs et visiteuses. Elle rend l’accès difficile, voire impossible pour celles et ceux qui se déplacent à pied et augmente fortement les temps de parcours, en particulier pour qui dépend des transports publics, y compris le personnel de la prison.

Dans ce contexte, le risque existe que les visites aux détenus et détenues soient moins fréquentes. Ceci concerne les familles et les amis, mais aussi les services d’accompagnement extérieurs à la prison. Les détenus et détenues, majoritairement issus de Bruxelles [9], subissent également cette dégradation de l’accessibilité lors des éventuelles permissions de sortie visant pourtant à favoriser leur réinsertion dans la société. Concernant les maisons de détention (petits établissements pour les condamnés à des peines dites courtes), le SPF Justice indique pourtant sur son site que celles-ci « sont souvent situées en milieu urbain afin de maintenir autant que possible le lien avec la société ».

À l’enfermement physique, s’ajoute ainsi une mise à l’écart de la cité qui est tout à la fois symbolique et tangible sur le plan du lien social [10]. Voilà qui ne participe pas à l’ « approche plus humaine de la détention » vantée par les autorités publiques [11].

Notes

[4S’y ajoutent les lignes suburbaines de De Lijn 270, 271 et 470 à environ 10 minutes à pied et la gare SNCB de Buda à 20 minutes à pied pour seulement un train par heure vers/depuis le centre de Bruxelles.

[5Les calculs sont réalisés à l’aide du logiciel libre OpenTripPlanner 1.5 alimenté par les données GTFS de la STIB (description du réseau et horaires) et l’espace public tel que décrit par OpenStreetMap (pour la marche à pied dans l’espace public). Sur bases de ces données, OpenTripPlanner estime le trajet le plus probable. Les réseaux SNCB, De Lijn et TEC n’ont pas été considérés car de nombreux voyageurs ont des abonnements limités au réseau de la STIB. L’analyse a été réalisée pour une arrivée un jour de semaine à 9 heures. Une arrivée à 9h en semaine est représentative d’une situation où la fréquence des bus est élevée. Le choix d’une heure d’arrivée en heure creuse la semaine ou le week-end présenterait vraisemblablement des résultats similaires (la fréquence moindre est compensée par l’amélioration de la vitesse commerciale) ou des temps de parcours dégradés (lorsque l’amélioration de la vitesse commerciale ne permet pas de compenser une fréquence nettement inférieure).

Les résultats ne seraient pas fondamentalement différents en semaine l’après-midi, car la fréquence plus faible est compensée par une meilleure vitesse commerciale. Par contre, les temps de parcours le weekend sont vraisemblablement plus élevés du fait de fréquences moindres

[6Bulletin des adjudications, 18 août 2022, http://www.publicprocurement.be

[7Le trajet est un peu plus court depuis l’arrêt précédent (Witloof) mais impose un trajet inhospitalier voire potentiellement dangereux (absence partielle de trottoir, coupe-gorge).

[8À la prison de Saint-Gilles, l’arrêt « Prison » du bus 54 direction Forest est lui aussi dépourvu d’abribus.

[9« La prison de Haren accueille les détenus condamnés de sexe masculin et toutes les détenues de la région de Bruxelles » - https://justice.belgium.be/fr/themes/prisons/prisons_belges/plus_dinfos/plus_dinformations_sur_la_prison_de_haren

[10Claire Scohier, 2023, Garder la prison dans la cité, https://ieb.be/Garder-la-prison-dans-la-cite