L’OBI est en vacances ! Nous profitons de cette pause pour republier d'anciens articles dignes d'intérêt !
Version imprimable de cet article Version imprimable

Santé Classes sociales

Inégalités de mortalité face à l’épidémie de coronavirus en Belgique

8 février 2021 Didier Willaert, Jérôme Vrancken

CC by

Cet article est une synthèse des résultats du service étude de Solidaris. Les résultats complets peuvent être téléchargés en fin d’article.

Introduction

L’épidémie de coronavirus a fortement sévi en Belgique : sur la période allant de début mars à début juin 2020 (lors de la première vague) on a observé une surmortalité de 9 000 personnes (+ 40 %). Exprimée par million d’habitants, la Belgique est l’un des pays où l’impact de la COVID-19 a été le plus important [1]. Les personnes résidant en maison de repos ont été particulièrement touchées.

Un certain nombre de chiffres ont déjà été publiés sur la surmortalité due à la COVID-19 en Belgique [2], mais ils ne vont pas beaucoup plus loin qu’une ventilation par âge, sexe et région. Ce texte se penche donc sur un certain nombre de dimensions dont on sait peu de choses à ce jour : quel est l’impact du statut socio-économique, du lieu de résidence (domicile ou maison de repos) et de son degré d’urbanisation ou encore de l’état de santé préalable de la personne sur les taux de surmortalités ? Cette étude se penche sur la surmortalité liée à la COVID-19 parmi les affiliés des Mutualités Socialistes.

Calcul de la surmortalité

La surmortalité attribuée à la COVID-19 est calculée en comparant (a) le nombre de décès survenu durant les semaines du 16 mars au 10 mai 2020 (semaines 12 à 19) avec (b) le nombre moyen de décès sur la même période (semaines 12 à 19) au cours des cinq dernières années (2015-2019).

La différence entre les deux (a moins b) donne la surmortalité en chiffres absolus. La surmortalité relative est obtenue en divisant le nombre de décès en 2020 par le nombre moyen de décès en 2015-19. Afin de comparer 2020 aux années précédentes, nous utilisons des taux de mortalité [3]standardisés par âge et par sexe [4] [5] [6]. Cette mesure de la surmortalité indique dans quelle mesure le taux de mortalité standardisé calculé pour les semaines du 16 mars au 10 mai en 2020 est supérieur (ou inférieur dans le cas d’une sous-mortalité) au taux de mortalité standardisé moyen calculé pour la même période lors des années 2015 à 2019.

Bien que la part des affiliés des Mutualités Socialistes dans la population totale soit importante (près de 30 %), celle-ci n’est pas distribuée uniformément sur le territoire (différences régionales). Les caractéristiques sociodémographiques des affiliés peuvent également différer de celle de la population belge totale. Par conséquent, les résultats de cette étude doivent être généralisés avec prudence à l’ensemble de la population.

Résultats

En moyenne, un peu plus de 30 000 des quelque 3,3 millions des affiliés [7] aux Mutualités Socialistes décèdent chaque année. Sur la période 2015-2019, en moyenne six cents personnes sont décédées par semaine (figure 1, ligne grise). En 2020, à partir du 16 mars, nous assistons à une augmentation conséquente du nombre de décès (figure 1, ligne rouge). Ce nombre de décès hebdomadaires atteint un pic lors de la semaine du 6 avril (semaine 15) avant de diminuer et de rejoindre la moyenne 2015-2019 à partir du 11 mai (semaine 20).

Figure 1 : Nombre de décès hebdomadaires (semaine 1 à 25) en 2015-19 (moyenne) et 2020

Le tableau 1 synthétise les surmortalités selon un ensemble de caractéristiques. Nous ne revenons pas ici en détail sur les différences géographiques ; soulignons seulement la très forte surmortalité constatée à Bruxelles en comparaison aux autres provinces. Cette surmortalité est d’ailleurs globalement constatée dans les zones urbaines denses, probablement du fait de l’intensité et de la variété plus élevée des interactions sociales.

De façon surprenante, lorsqu’on met en relation la surmortalité liée à la COVID-19 et des maladies potentiellement aggravantes de l’infection par le virus (statut de maladie chronique, asthmatique, patient cardiaque), on observe plutôt un lien inversé (la surmortalité des patients asthmatiques a été inférieure à celle des autres), à l’exception des patients diabétiques.

En revanche, la surmortalité due à la COVID-19 a frappé plus durement les personnes ayant des revenus plus faibles (les BIM, Bénéficiaires de l’Intervention Majorée) : leur surmortalité relative est de 70 % contre 45 % pour les bénéficiaires sans intervention majorée (BO) (tableau 1). Et si l’on ne considère que les décès des personnes non résidentes en maison de repos, la surmortalité des personnes les plus pauvres est encore plus importante : 45 % de surmortalité pour les BIM contre 15 % pour les autres, soit trois fois plus élevé chez les affiliés disposant de revenus plus faibles.

Cette population défavorisée socio-économiquement vit généralement dans des logements de petite taille, et surtout dans des ménages plus grands. En cas de confinement, la transmission du virus est principalement active dans le contexte familial, et touchera nécessairement plus de personnes dans les ménages plus nombreux, en moyenne plus pauvres. Les personnes les plus pauvres exercent également des métiers moins qualifiés, mais considérés comme essentiels (caissiers, transporteurs, …). Ils ont donc continué leur activité pendant le confinement et ont été surexposés à la maladie durant cette période [8]. Enfin, cette population présente aussi une santé globalement plus dégradée [9] et a donc probablement plus souffert de la crise sanitaire. Nous n’avons toutefois pas pu confirmer cette hypothèse, qui demanderait des analyses supplémentaires.

En conclusion, bien qu’un virus soit supposé frapper de façon aveugle et donc égalitaire au sein d’une société, il semblerait que cela n’ait pas été le cas lors de cette pandémie, que ce soit en Belgique ou ailleurs. Au contraire, la précarité a été un facteur aggravant significativement l’impact de l’épidémie, notamment au travers du logement et de l’activité professionnelle.

Tableau 1 : Surmortalité absolue et relative dans les semaines 12-19 de 2020 ventilée selon les caractéristiques sociodémographiques
RASMR=Relative Age-Standardised Mortality Rate / * surmortalité relative (RASMR) normalisée par âge et par sexe / ** RASMR standardisé par âge / *** RASMR standardisé par âge, sexe et tarif préférentiel/statut malade chronique / BIM=bénéficiaire intervention majorée / BO= bénéficiaire sans intervention majorée

Télécharger le rapport complet

Notes

[3Nombre de décès pour 1000 affiliés

[5En standardisant selon l’âge et le sexe, nous prenons en compte les variations d’âge et de sexe entre les différents sous-groupes et/ou dans le temps.

[6Lorsque nous nous intéressons aux bénéficiaires de l’intervention majorée (BIM) ou aux bénéficiaires du statut malade chronique, nous constatons qu’au cours des cinq dernières années, la proportion de décès parmi ces affiliés de même que la proportion de ces affiliés parmi la population ont augmenté de manière significative. Par conséquent, outre l’âge et le sexe, lorsque nous nous intéresserons à ces affiliés, nous standardiserons également en tenant compte du statut BIM ou malade chronique.

[7Y compris les affiliés ayant conclu un accord international.

[8Girès (2020), Covid-19 : « les métiers essentiels surexposés, mais peu valorisés ». 306

[9Laasman, Maron et Vrancken (2019), « Les inégalités sociales dans le domaine de la santé. », Etudes Solidaris, Octobre 2019.