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Les inégalités sociales aggravées par la faible accessibilité aux soins dentaires ?

Focus sur les barrières financières et géographiques dans l’accès aux soins

28 novembre 2022 Joël Girès, Pierre Marissal

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Cet article s’intègre dans une série de 3 analyses sur l’accessibilité aux soins dentaires conventionnés rendues possibles grâce à la participation de Solidaris ; il s’agit ici du deuxième. Le premier est consultable sur une autre page du site.

Le territoire belge, bien que petit et dense, présente une offre de soins dentaires inégalitairement répartie spatialement. De manière générale, les zones rurales sont moins bien desservies que les agglomérations urbaines. Mais des espaces densément peuplés, y compris certaines villes, peuvent également avoir des mauvaises accessibilités aux soins conventionnés – plus accessibles financièrement. Il est peu probable que ces disparités géographiques n’aient pas d’impact sur les pratiques de recours aux soins des habitants. Cette analyse se propose de mesurer les effets des difficultés d’accessibilité géographique aux soins dentaires conventionnés sur les pratiques de soins de la population en Belgique, et le rôle de ces difficultés dans la production des inégalités sociales de santé.

Les populations pauvres sous-utilisent les services de soins dentaires. Cette situation est connue et déjà documentée [1]. La figure 1 le montre en Belgique pour l’année 2018, sur base des consultations dentaires des affiliés de Solidaris :

Figure 1 : Pourcentage des personnes qui consultent régulièrement un dentiste selon le niveau socio-économique du quartier (2018 – tout âge)
Source : données de remboursement de soins de Solidaris. Les chiffres présentés sont standardisés par âge et par sexe, c’est-à-dire qu’ils ne dépendent pas de la composition par âge et par sexe des différents quartiers.

Elle montre la proportion de personnes ayant eu des contacts réguliers avec un dentiste selon le niveau social du quartier dans lequel ils habitent (1 = les plus pauvres et 10 = les plus riches). Un contact régulier est défini par le fait d’être allé deux années différentes chez le dentiste sur une période de 3 ans (2016-2018). On voit ainsi que les personnes issues des quartiers les plus pauvres sont 40 % seulement à consulter régulièrement un dentiste, contre 56 % pour les résidents des quartiers les plus riches [2]. Plus généralement, il apparaît que la probabilité de consulter régulièrement un dentiste augmente progressivement au fur et à mesure que le niveau socio-économique du quartier s’élève. De multiples raisons ont été identifiées pour expliquer ces écarts croissants : la plus évidente est bien entendu le coût élevé des soins dentaires, dont la part à charge des patients représente 57,6 % du montant total, ce qui les range parmi les soins de santé les plus dispendieux [3]. Ceci explique que les plus pauvres renoncent pour raison financière aux soins dentaires bien plus souvent que pour d’autres soins.

Le coût du transport est également identifié par les populations précaires comme un coût indirect qui peut constituer un véritable obstacle à l’accès aux soins [4]. La chose n’est pas étonnante, puisque l’on sait que les mobilités sont également une dimension de la vie sociale marquée par de fortes inégalités : les plus pauvres possèdent par exemple moins souvent une voiture, et les déplacements constituent une dépense loin d’être négligeable pour les catégories à faibles revenus [5]. Il est dès lors probable que les faibles accès géographiques constituent des barrières aux soins d’autant plus difficilement surmontables que les revenus des personnes sont peu élevés. Nous proposons ainsi d’articuler dans notre analyse la question des inégalités financières à celle de l’accessibilité géographique aux soins. Plus précisément, c’est l’impact de l’inégale répartition des soins dentaires conventionnés qui sera analysé, puisque le conventionnement a précisément l’objectif de limiter le coût des soins, et donc d’en garantir a minima l’accessibilité financière.

Dans l’encadré ci-dessous, nous rappelons les grandes lignes de notre analyse de l’inégale répartition spatiale des soins dentaires conventionnés en Belgique. Pour l’analyse des effets de cette inégalité sur les pratiques effectives de recours aux soins, nous nous limiterons ici aux personnes de moins de 65 ans. La raison est double : d’une part, nous disposons de données permettant de classer plus finement les personnes de moins de 65 ans (voir encadré) ; deuxièmement, l’accès aux soins dentaires pour les personnes du troisième âge présente des spécificités, raison pour laquelle nous y consacrons une analyse ultérieure et ne les incluons pas dans celle-ci [6]. Nous proposons ainsi d’investiguer les conséquences des mauvais accès aux soins dentaires conventionnés à travers les distances qu’elles poussent à parcourir (section 1), leur impact sur le report vers des soins non conventionnés, donc plus coûteux (section 2) et enfin, leur influence sur les pratiques de soins (section 3).

Note méthodologique

1. Les accessibilités locales aux soins conventionnés

Pour mesurer les inégalités d’accessibilité aux soins dentaires, nous utilisons deux sources : les données de l’INAMI, qui listent tous les dentistes de Belgique, et les données de Solidaris, qui renseignent à la fois l’offre des soins dentaires procurés par les dentistes, et les consultations dentaires auxquelles se sont rendus les patients. À cause de la crise sanitaire qui a bouleversé les pratiques en matière de soins de santé, nous avons choisi de traiter les données de 2018. Nous disposons ainsi d’une liste de 7 153 dentistes qui ont eu au moins un contact avec un patient en 2018, et d’informations sur les pratiques de soins de 3 145 667 affiliés de Solidaris – dont 2 469 442 de moins de 65 ans qui constituent la population d’étude de l’analyse ci-présente, à partir desquels les résultats ont été interpolés à l’ensemble de la Belgique. La carte ci-dessous représente les inégalités d’accessibilité aux soins conventionnés : les zones vertes indiquent les meilleures accessibilités, qui correspondent souvent à des localisations urbaines ou périurbaines même si ce n’est pas systématique. Les moins bonnes accessibilités, en rouge, sont quant à elles fréquentes dans les zones rurales peu densément peuplées, qui occupent une grande part du territoire. Mais de mauvaises accessibilités s’observent également dans des zones plus peuplées, y compris dans des villes. Le cas d’Anvers est ici emblématique, mais plusieurs autres villes, dans le Hainaut par exemple, présentent également des accessibilités médiocres [7].

Carte 1 : Accessibilité aux soins dentaires conventionnés

2. Les niveaux socio-économiques des patients

Dans la suite de l’analyse, nous utilisons une classification socio-économique des patients selon leurs profils, basés sur les différentes informations individuelles disponibles (ouvrier, employé, bénéficiaire ou non de l’intervention majorée, famille monoparentale ou non, nombre de jours de chômage ou en incapacité primaire, etc.). Le niveau socio-économique moyen de ces différents profils a été estimé sur base du niveau socio-économique des quartiers où ils sont sur-représentés. Mais une fois ces différents niveaux établis, les patients de même profil sont classés de manière identique, quel que soit leur quartier de résidence. Nous avons préféré cette approche à celle qui consiste à mesurer le niveau social uniquement par le niveau socio-économique du quartier, car elle permet d’identifier des groupes socialement plus homogènes. Néanmoins, nous disposons de moins de variables pour identifier les personnes aisées ; de ce fait, nous avons regroupé les plus favorisés en catégories plus larges. Ainsi, la classification comporte 7 catégories allant des patients les plus pauvres aux plus riches : les cinq premières catégories comptent chacune 10 % des affiliés de Solidaris, et les deux dernières (les plus aisés) en compte chacune 25 %.

1) Faible accessibilité : des distances qui augmentent plus le niveau social est bas

Une première chose intéressante à estimer est la distance moyenne que les personnes franchissent pour se rendre chez un dentiste. Dans une situation de faible accessibilité aux soins conventionnés, on peut supposer que les personnes doivent davantage se déplacer pour trouver des soins accessibles financièrement. La figure 2 montre que c’est effectivement le cas :

Figure 2 : Distance moyenne parcourue pour se rendre chez le dentiste (personnes de moins de 65 ans)

À gauche du graphique, on trouve les personnes qui vivent dans des zones où l’accessibilité aux dentistes conventionnés est bonne ; à droite, dans les zones où cette accessibilité est mauvaise. Les couleurs de l’échelle d’accessibilité (en bas du graphique) correspondent aux couleurs de la carte de Belgique montrée dans l’encadré précédent, afin que le lecteur puisse identifier précisément quelles zones géographiques sont concernées. Les lignes des différentes couleurs indiquent les niveaux socio-économiques des personnes ; la ligne horizontale discontinue grise désigne, quant à elle, la distance moyenne parcourue par l’ensemble de la population des moins de 65 ans (toutes catégories sociales et tous niveaux d’accessibilité confondus).

On remarque sur le graphique que les distances moyennes parcourues [8] par les personnes qui se rendent chez le dentiste augmentent bien, pour l’ensemble des patients, avec la baisse de l’accessibilité aux soins conventionnés : sans surprise, moins les services sont disponibles à proximité, plus les patients parcourent de longues distances. Toutefois, la baisse de l’accessibilité a un impact très différencié selon la catégorie sociale : dès que l’accessibilité géographique se dégrade un peu – en pratique souvent en dehors des zones urbaines centrales – les moins favorisés (les lignes foncées) effectuent des distances plus grandes pour accéder aux soins. Les plus riches (les lignes claires), quant à eux, semblent peu impactés par la diminution de l’accessibilité, sauf lorsque les niveaux d’accessibilité sont réellement très bas (sur la droite du graphique), une situation qui correspond à des zones où la faible accessibilité aux soins conventionnés se confond avec une faible accessibilité aux soins en général [9]. Cette différence dans les distances parcourues en fonction de la catégorie sociale devient très élevée dans les zones de très faible accessibilité, avec un écart qui peut dépasser 10 km. Il est probable que la recherche active de soins conventionnés, qui se fait au prix d’un allongement important des déplacements, est bien moins fréquente chez les patients aisés qui peuvent plus facilement reporter sans grande conséquence leur demande de soins dentaires vers des prestataires non conventionnés – plus chers. L’écart entre catégories sociales est, de plus, doublement inégalitaire. On sait en effet que les longs trajets sont, relativement à leurs revenus, plus coûteux pour les personnes avec de faibles revenus.

Par ailleurs, le graphique montre un plateau, voire un « creux » pour les plus démunis (lignes foncées), dans la progression des distances parcourues avec la baisse de l’accessibilité. Cette particularité tient certainement au fait qu’une accessibilité moyenne aux soins conventionnés ne veut pas dire que l’accès général au soin est mauvais : ce n’est pas parce qu’il n’y a pas de dentistes conventionnés qu’il n’y a pas de dentistes tout court dans la région. En cas d’une accessibilité moyenne aux soins conventionnés, les patients peuvent alors reporter leurs soins vers des dentistes non conventionnés au lieu de faire des kilomètres en plus. C’est précisément ce qui caractérise la région d’Anvers [10], qui pèse beaucoup dans la présence du creux identifié au milieu du graphique. En effet, Anvers présente la particularité d’offrir une offre de soins dentaires conventionnés moyenne, voire mauvaise (la ville se situe donc au milieu du graphique). Mais dans un contexte urbain tel qu’à Anvers, les personnes ne parcourent sans doute pas de longues distances pour trouver un service comme on pourrait le faire en zone rurale, quand bien même leur accessibilité est mauvaise.

2) Faible accessibilité : report vers des soins non conventionnés

Les interprétations proposées dans le point précédent sont renforcées si l’on observe les tendances de consultation des dentistes selon leur statut de conventionnement. La figure 3 montre la proportion des personnes qui se rendent chez un dentiste non conventionné lorsque diminue l’accessibilité aux soins conventionnés.

Figure 3 : Probabilité de consulter un dentiste non conventionné (personnes de moins de 65 ans)

Cette figure illustre d’abord un fait bien connu : la probabilité de consulter un dentiste non conventionné s’accroît avec le niveau social. Toutefois, on voit ici que ce report vers des soins dentaires non conventionnés dépend aussi fortement de l’accessibilité locale aux soins conventionnés. Ce report s’observe pour toutes les catégories sociales : riches comme pauvres vont d’autant plus chez un dentiste non conventionné que la disponibilité locale de prestataires conventionnés diminue (les lignes montent d’autant plus qu’on se rapproche de la droite du graphique). On voit cependant qu’un écart constant se maintient entre les catégories sociales, quel que soit le niveau d’accessibilité : il est donc cohérent que les plus pauvres parcourent de plus grandes distances que les plus aisés, puisqu’ils se rendent toujours plus souvent chez un dentiste conventionné (lignes foncées) même quand les soins conventionnés sont peu disponibles localement.

3) Faible accessibilité : un impact différencié sur les pratiques de soin

La faible accessibilité à un dentiste conventionné impose soit de réaliser des trajets plus longs pour atteindre un service équivalent, soit de reporter ses besoins vers l’offre non conventionnée, par définition plus chère. Il faut avoir à l’esprit que les résultats précédents (concernant les distances parcourues et le report de soin vers une offre non conventionnée) ne prennent en compte que les personnes qui se rendent chez un dentiste [11]. Il existe une troisième possibilité lorsque les barrières pour accéder aux soins sont trop élevées : le renoncement. On sait qu’une part de la population reporte des soins dentaires en raison de leur coût, surtout chez les plus pauvres. Il est dès lors peu probable que les disparités de l’offre ne conduisent pas, elles aussi, à des renonciations de soins. Pour le savoir, observons la tendance des patients à avoir des contacts réguliers avec le dentiste dans la figure4.

Figure 4 : Indices comparatifs – contacts dentaires réguliers (personnes de moins de 65 ans)

La ligne horizontale discontinue grise désigne la tendance moyenne de l’ensemble de la population des moins de 65 ans à avoir des contacts réguliers avec un dentiste [12] : lorsque le niveau est inférieur à cette ligne, cela signifie que le renoncement est plus important que dans l’ensemble de la population étudiée. Le graphique montre des écarts de pratiques entre catégories sociales, quel que soit le niveau d’accessibilité : les personnes aisées renoncent moins aux soins que les personnes démunies (les lignes claires sont en haut tandis que les lignes foncées sont en bas). Mais le résultat le plus marquant indiqué par le graphique est que les écarts entre catégories sociales augmentent avec la baisse de l’accessibilité (les lignes représentant les différentes catégories s’écartent quand on va vers la droite du graphique). Autrement dit, les faibles accessibilités ont un impact bien différencié selon les moyens des personnes. Elles ont peu d’impact sur les plus aisés (les lignes claires restent stables avec la baisse de l’accessibilité), qui peuvent notamment reporter leurs soins vers l’offre non conventionnée, ou réaliser des déplacements plus longs [13]. Elles provoquent par contre du renoncement aux soins dentaires chez les plus démunis (les lignes foncées descendent avec la baisse de l’accessibilité) !

Le constat est tout à fait similaire si l’on s’intéresse aux soins dentaires préventifs. La figure 5 montre que la proportion des plus pauvres (lignes foncées) qui consultent régulièrement un dentiste pour des soins préventifs diminue progressivement avec la baisse de l’accessibilité aux soins conventionnés (à droite du graphique), alors qu’elle reste stable pour les plus aisés.

Figure 5 : Indices comparatifs – contacts dentaires préventifs réguliers (personnes de moins de 65 ans)

Ce constat relativise quelque peu une conception courante selon laquelle le manque de prévention des populations les plus fragiles est le fait d’une moindre attention à leur propre santé ou d’un manque de connaissances. Une recherche sociologique au Québec relève notamment que les plus fragiles développent, suite notamment à la forte fréquence de leurs problèmes de dents, des pratiques d’autoévaluation de leur santé dentaire, pour eux-mêmes et leurs enfants [14]. Les auteurs notent que cette pratique révèle une préoccupation bien réelle de la santé dentaire. Mais, en raison entre autres des difficultés d’accès aux soins, cette préoccupation se tourne pour la détection des problèmes vers ses propres capacités plutôt que vers celles d’un professionnel du soin dentaire. Cette approche, qui répond de manière somme toute rationnelle aux barrières financières, peut cependant conduire à des diagnostics trop tardifs qui affectent alors la santé dentaire. Nos analyses renforcent également le point de vue selon lequel le manque de prévention est aussi lié à des éléments matériels, financier et géographique. On voit en effet que les populations fragiles vont bien plus souvent consulter un dentiste préventivement lorsque l’accessibilité à ces soins est assurée.

La figure 6 montre quant à elle que les effets sociaux des mauvaises accessibilités locales ont également un impact dans les consultations pour bénéficier de soins curatifs. En effet, alors que pour les catégories plus aisées, le recours aux soins curatifs ne semble pas être affecté par la faiblesse de l’offre conventionnée (les lignes claires sont stables) [15], il en va tout autrement pour les plus pauvres (les lignes chutent drastiquement).

Figure 6 : Indices comparatifs – contacts dentaires curatifs réguliers (personnes de moins de 65 ans)

La chute des courbes chez les plus démunis est d’autant plus spectaculaire qu’elle part d’un niveau clairement plus élevé qu’en moyenne dans les zones de bonne accessibilité conventionnée (à gauche du graphique). Cette dernière situation s’explique sans doute par les soins plus lourds souvent exigés lorsque – entre autres du fait de l’effet dissuasif des coûts – l’autocontrôle de sa santé dentaire conduit à des diagnostics trop tardifs. Il est d’autant plus remarquable que cette tendance ne s’observe plus chez les pauvres dans les zones de mauvaises accessibilités locales, alors même que le recours au préventif y est plus faible encore (à droite des figures 5 et 6). On ne peut exclure que ceci traduise en partie l’imparfaite homogénéité des groupes socio-économiques utilisés. Mais on peut aussi émettre l’hypothèse que les mauvaises accessibilités conduisent à une multiplication de situations qui sont ailleurs plus souvent évitées : maintien très prolongé d’un mauvais état de santé sans prise en charge, recours plus fréquent à l’extraction des dents malades, etc. [16]

Conclusion

La faiblesse de l’accessibilité aux soins conventionnés a ainsi des effets tout à fait clairs : elle force les patients à réaliser des trajets plus longs, et ce d’autant plus qu’ils sont pauvres, et elle engendre un report très clair des consultations vers l’offre non conventionnée – plus onéreuse. Mais si ces phénomènes s’observent pour tous, ils n’ont assurément pas les mêmes répercussions en fonction des ressources des personnes : les plus aisés ne sont pratiquement pas impactés par le niveau d’accessibilité dans leurs pratiques de consultations de dentistes, alors qu’une faible accessibilité géographique aux soins conventionnés génère un renoncement assez massif aux soins dentaires chez les plus pauvres.

En d’autres termes, le niveau d’accessibilité a un effet multiplicateur des inégalités sociales de santé : plus l’accessibilité aux soins est mauvaise, plus les écarts entre les classes sociales sont élevés, du moins concernant les soins dentaires. Cela laisse penser que les plus aisés disposent des ressources pour passer outre les barrières géographiques et financières, alors que les plus pauvres sont contraints à ne pas consulter lorsque l’offre de soin ne prend pas en compte les contraintes auxquelles ils font face. Ces résultats invitent à reconsidérer le facteur géographique dans l’appréhension des inégalités sociales de santé, puisqu’elles en structurent manifestement la forme. Ils invitent également à prendre des mesures pour favoriser le conventionnement des dentistes, dispositif qui permet un meilleur accès aux soins pour les plus pauvres, mais qui est progressivement fragilisé [17].

Soulignons pour terminer une limite importante de la démarche comparative utilisée dans cette analyse. Si la comparaison entre les pratiques selon les accessibilités locales aux soins conventionnés permet de montrer les effets sociaux négatifs des plus faibles accessibilités, elle ne permet aucunement d’apprécier les éventuelles insuffisances de l’offre conventionnée dans les zones les plus accessibles. Rappelons néanmoins qu’une part non négligeable des personnes pauvres est contrainte d’y postposer ses soins dentaires pour raison financière.

Notes

[1Par exemple : AIM (2019), Inégalités sociales en santé ; Dargent-Paré C., Bourgeois D. (2000), « La santé bucco-dentaire » in Fassin D., Grandjean H., Kaminski M., Lang T., Leclerc A., Les inégalités sociales de santé, La Découverte, Paris, pp. 267-282.

[2Compte tenu des différences de consultations dentaires par âge et par sexe, la composition de la population est susceptible d’avoir un impact sur l’indicateur de consultation régulière des dentistes. Si certaines classes d’âges ont une tendance plus élevée à aller chez le dentiste, la proportion de ces classes d’âge dans un quartier influencera nos résultats. C’est pourquoi notre indicateur est défait des effets de l’âge et du sexe afin de mieux souligner les différences de « comportement » en fonction du statut social. Pour cela, il suffit de calculer un nombre théorique de consultations en appliquant les taux nationaux par et par sexe à la composition du quartier et puis de comparer ce nombre théorique au nombre réel de consultations.

[4S. El-Yousfi, K. Jones, S. White, Z. Marshman, A rapid review of barriers to oral healthcare for vulnerable people, British Dental Journal, n° 2, Vol. 227, pp. 143-151.

[5Strale M., Feron P. (2017), L’emploi convenable au prisme des inégalités de mobilité, Observatoire belge des inégalités.

[6Voir J. Girès, P. Marissal (2022), « La faible accessibilité géographique aux soins dentaires est une barrière pour les personnes âgées », Observatoire belge des inégalités.

[7Plus de détails dans J. Girès, P. Marissal (2022), « L’accessibilité géographique aux soins dentaires – La question du conventionnement des soins », Observatoire belge des inégalités.

[8Ici mesurées à vol d’oiseau.

[9Voir J. Girès, P. Marissal (2022), « L’accessibilité géographique aux soins dentaires – La question du conventionnement des soins », Observatoire belge des inégalités.

[10Et sans doute, dans une moindre mesure, le cas des villes hennuyères.

[11On ne peut en effet pas calculer la distance parcourue pour accéder à des soins dentaires pour une personne qui ne va pas chez le dentiste.

[12Nos indices sont standardisés par sexe et âge. Quant à la population de référence, elle désigne l’ensemble des affiliés de Solidaris. Cette population ne doit pas se confondre avec la population belge, Solidaris comptant une sur-représentation de personnes défavorisées parmi ses affiliés. Néanmoins, les écarts entre catégories sociales sont très certainement indicatifs de tendances présentes dans toute la population belge.

[13Cet impact différencié est souligné dans une étude sociologique française sur le renoncement aux soins : C. Després, P. Dourgnon, R. Fantin, F. Jusot (2011), Le renoncement aux soins : approche socio-anthropologique, Questions d’économie de la Santé.

[14Muirhead V., Levine A., Nicolau B., Landry A., Bedos C. (2013), Life course experiences and lay diagnosis explain low-income parents’ child dental decisions : a qualitative study. Community Dentistry Oral Epidemioly, Vol. 41, pp. 13-21.

[15La baisse, assez modérée, qui s’observe pour les accessibilités les plus mauvaises s’explique sans doute par le fait qu’une partie de ces mauvaises accessibilités se doublent d’un fort déficit de l’offre totale, dentistes non conventionnés compris.

[16De telles situations sont documentées ailleurs. Une étude française relève par exemple que les personnes venant aux consultations dans les centres de soins gratuits consultent moins fréquemment un dentiste qu’en moyenne, ont plus fréquemment des dents manquantes, mais moins souvent des plombages, couronnes ou autres prothèses dentaires : Beynet A., Menahem G.(2002), « Problèmes dentaires et précarité », Séries analyses n°1369, CREDES (devenu IRDES en juin 2004).

[17Voir J. Girès, P. Marissal (2022), « L’accessibilité géographique aux soins dentaires – La question du conventionnement des soins », Observatoire belge des inégalités.