Les inégalités d’espérance de vie
3 août 2015 , ,
Les inégalités en matière de santé devraient être considérées comme particulièrement inacceptables. En effet, elles illustrent les inégalités sociales et territoriales en termes de vie et de mort.
Aaron Escobar - A Workman’s death@flickr
A l’échelle des communes, l’espérance de vie féminine varie de 78,5 années à Anderlues, dans la banlieue industrielle de Charleroi, à 86,4 années à Sint-Martens-Latem, dans la banlieue très aisée du sud de Gand [1]. Si de nombreux facteurs, d’ordre comportemental en particulier (habitudes alimentaires, exercices physiques etc.), ont un impact sur l’espérance de vie, notamment pour expliquer le contraste Flandre/Wallonie, les facteurs socio-économiques n’en restent pas moins un facteur décisif. En effet, si l’on réunit les communes en cinq classes selon le revenu médian par déclaration (Tableau 1), l’espérance de vie varie de 75,4 pour les communes les plus pauvres à 78,2 pour les plus riches, et de 81,6 à 83,1 pour les femmes.
A titre d’illustration, à Anvers et à Gand, les banlieues aisées ont systématiquement des espérances de vie plus élevées que les communes plus pauvres du centre-ville. On peut aussi souligner les espérances de vie particulièrement faibles des zones d’industrialisation ancienne en Wallonie (Liège, Charleroi, Mons-Borinage) ainsi que, à un degré moindre, dans les communes minières du Limbourg (Genk, Houthalen etc.).
Espérance de vie 2007-2009 | |||
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Niveau de revenus des communes* | Homme | Femme | Différence |
Pauvre | 75.4 | 81.6 | 6.1 |
Moyen pauvre | 76.8 | 82.4 | 5.6 |
Moyen | 77.5 | 82.7 | 5.2 |
Moyen riche | 78.0 | 82.9 | 4.8 |
Riche | 78.2 | 83.1 | 4.9 |
Belgique | 76.9 | 82.3 | 5.4 |
* Les communes sont classées en cinq groupes équivalent des plus pauvres aux plus riches
Données : SPF Economie, Direction générale Statistique et Information économique.
A l’échelle des quartiers d’une grande ville comme Bruxelles, les écarts sont encore plus saisissants [2]. Ici encore, les contrastes socio-économiques sont en partie à l’origine des écarts observés. La corrélation entre l’espérance de vie et l’indice socio-économique des quartiers atteint à peu près 40%. Autrement dit, les variations de l’indice socio-économique d’un quartier à l’autre rendent compte de 40% des variations de l’espérance de vie. La carte illustre les espérances de vie très faibles du croissant pauvre de Bruxelles - depuis Saint-Josse au Nord jusque Saint-Gilles au sud, en passant par le vieux-Molenbeek et Cureghem à Anderlecht - et celles nettement plus élevées dans le cadrant sud-est aisé de la ville, depuis les Woluwé jusqu’à Uccle.
Il faut bien entendu rester prudent quant à l’interprétation de ces résultats obtenus à différentes échelles géographiques et non au niveau individuel. Toutefois, l’intensité du lien observé à différentes échelles – combinée à d’autres études menées sur les individus eux-mêmes – ne laisse guère de doute sur le lien entre pauvreté et surmortalité.
Parmi les explications, on ne peut pas écarter l’hypothèse de différences dans les comportements entre les classes sociales. Néanmoins, les écarts observés sur la mortalité infantile [3] sont un élément parmi d’autres suggérant que les écarts d’espérance de vie en fonction du niveau social ne se réduisent pas à des différences dans les ‘habitudes de vie’. Ces différences relèvent aussi de l’accès inégal aux soins de santé en fonction des revenus et des conditions de vie plus précaires des populations pauvres (conditions de travail, conditions de logement, accès à une nourriture de qualité etc.).
Finalement, on peut aussi s’interroger sur les implications par rapport à l’âge légal de la pension. L’allongement de la durée légale de la vie active est généralement justifiée par l’augmentation de l’espérance de vie. Si cette logique prévaut, pourquoi l’âge légal du droit à la pension ne tient-il pas compte des écarts sociaux et socio-territoriaux d’espérance de vie ?