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Genre Cadre de vie

Féminisation des espaces sportifs

6 février 2017 Agnes Elling
Traduction vers le français : Koessan Gabiam

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La version originale de cet article, qui concerne les Pays-Bas, est parue dans la revue AGORA (numéro thématique ’Sport’, 2015-1).

Il y a belle lurette que la participation aux activités sportives n’est plus considérée comme une affaire purement masculine. Globalement, les niveaux de participation aux sports des femmes et des hommes s’équivalent. Pour autant, il existe toujours des mécanismes de genre œuvrant à l’inclusion ou à l’exclusion sociale au sein d’espaces sportifs tels que les terrains de football, les piscines ou les centres de fitness.

A l’origine, le développement du sport moderne bénéficiait essentiellement aux jeunes hommes issus de la bourgeoisie aisée. De nos jours, par contre, on attend de chacun et chacune d’être sportif∙ve, et l’offre en activités sportives (et autres activités récréatives mettant l’accent sur le corps en mouvement) s’est fortement développée, tout comme le nombre d’espaces sportifs (plaines de jeux, parcs, centres de fitness). Néanmoins, le sport demeure une activité sociale dans laquelle les inégalités sociales sont reflétées aussi bien que questionnées. Le sport intègre et discrimine selon ses « propres » règles de sportivité et de justice qui semblent mettre les inégalités sociales temporairement hors-jeu.
Toutefois, à côté de l’intégration et l’adhésion qu’offrent les espaces sportifs d’aujourd’hui, nous remarquons aussi une projection voire un renforcement des inégalités sociétales. Ainsi, le football professionnel masculin ne connaît toujours aucun footballeur ouvertement homosexuel et le processus décisionnel dans le cadre de ce sport est avant tout assuré par des hommes blancs. La participation sportive générale des hommes et des femmes est de niveau comparable. En outre, des espaces sportifs spécifiques font apparaître des mécanismes d’inclusion ou d’exclusion sociale en fonction du genre ou d’autres statuts sociaux.

Vers une féminisation des terrains de football ?

Jetons le coup d’œil à n’importe quel terrain de football de village, à un terrain grillagé ou à un terrain dernier cri d’une grande ville, le constat est le même. Les utilisateurs sont généralement de jeunes garçons ayant des origines ethniques diverses, en rapport direct avec la signature sociale du quartier. De temps à autre, apparaîtra une fille dans le lot, bien souvent une habile joueuse. Si l’on voit davantage de filles dans les espaces sportifs publics, c’est bien souvent sur la ligne de touche, ou alors lors de périodes de jeux supervisées et réservées aux filles ou à des groupes mixtes. Ceci n’a rien d’étonnant quand on pense que le football féminin n’a intégré les fédérations européennes (et nationales) qu’en 1971. L’idée reçue étant que les femmes n’étaient pas capables de jouer au football et que ce serait dommageable pour elles, celles-ci n’en avaient pas le droit et souvent elles-mêmes ne souhaitaient pas participer. Ces dernières décennies ont permis de changer cette situation. En effet, le football est entre-temps devenu un des sports les plus populaires parmi les filles (d’origine immigrée) et la plupart des parents trouvent que c’est un excellent sport pour leurs filles. Malgré tout, le terrain de football demeure un espace fortement genré. Ceci ne vaut pas seulement pour l’accès des filles aux terrains de football. Un nombre croissant d’associations de football ont créé un département réservé aux femmes, mais ce dernier arrive toujours en seconde position en termes de facilités ou de l’attention qui y est consacrée. La couverture médiatique augmente aussi mais demeure marginale et contrairement au football masculin, elle dépend énormément des prestations de l’équipe nationale au niveau mondial et du physique des joueuses.

Le combat des heures de natation réservées aux femmes musulmanes

Si le football ne commence que depuis peu à être considéré comme une activité sportive “adéquate” pour la gente féminine, la natation l’a été depuis beaucoup plus longtemps. Cela fait d’ailleurs longtemps que bon nombre de piscines publiques proposent des heures d’ouverture à l’usage exclusif des femmes sans que ceci ait fait débat. A la fin du siècle passé, ce dispositif discriminatoire a cependant fait l’objet de débats publiques, surtout en ce qui concerne les heures de natation subsidiées en faveur des femmes musulmanes. Vu les difficultés que peuvent rencontrer ces dernières à plusieurs niveaux dans leur vie, nombre de piscines subsidiées de grandes villes néerlandaises ont mis en place des mesures spéciales permettant d’améliorer l’accès de ce groupe-cible. Ainsi, seul le personnel féminin est présent lors des heures d’ouverture réservées aux femmes et d’éventuelles parois en verre sont recouvertes afin d’empêcher tout regard masculin. Dans un climat politique changeant, le soutien de l’Etat aux heures de natation réservées aux femmes d’origine étrangère posait de plus en plus question.
Pour beaucoup d’adversaires, ces heures de natation séparées constituent une forme de ségrégation. Mais on peut tout autant soutenir que l’absence de soutien de l’Etat à (l’apprentissage de) la natation selon leurs propres conditions entraverait la pleine participation et l’intégration des femmes musulmanes à la société. De plus, ce sont les jeunes hommes d’origine néerlandaise qui ont tendance à profiter davantage des subsides sportifs habituels, tels que les subsides de jeunesse ou d’accommodation aux Pays-Bas, car il s’agit du groupe qui est le plus actif dans les clubs sportifs.
La suppression des moyens publics limite l’accès des femmes musulmanes aux heures de natation réservées aux femmes dans les piscines publiques et celles-ci sont dès lors obligées de se tourner vers des heures réservées par les associations musulmanes. Moins les piscines et les communes tiendront compte des souhaits des femmes musulmanes pendant les heures de natation réservées aux femmes, plus faible sera la probabilité de partages interculturels et d’échanges d’habitudes en termes de natation, et d’une victoire commune sur la peur de l’eau et de l’Autre.
Néanmoins, les associations musulmanes de natation jouent également un rôle positif dans l’intégration et l’émancipation sociales. Mis à part le plaisir de nager et la détente qu’elles offrent, elles contribuent à former des citoyennes plus compétentes en natation et davantage de professeures de natation musulmanes, et mènent à un usage plus multiculturel des facilités sportives publiques.

Remise en forme, minceur et force

Depuis la fin du 19e siècle, les terrains de football et les piscines constituent des espaces-clés pour le sport et les activités sportivo-récréatives. Les centres de fitness, qui n’étaient autrefois utilisés que de manière marginale par des hommes désirant faire de la musculation, sont en quelques décennies devenues incontournables en matière d’offre sportive. Le succès de la remise en forme (fitness) est lié à des changements sociaux plus larges qui mettent davantage l’accent sur un mode de vie sain, un corps mince et vif et la réalisation d’objectifs personnels. La popularité croissante des activités de remise en forme s’accompagne d’une forte augmentation du nombre de centres de fitness. Un nombre toujours important d’adeptes est séduit par l’aspect non-compétitif de cette offre sportive, des horaires d’ouverture et des formules d’abonnement plus flexibles, et des interactions sociales plus furtives comparé au sport en club.
Les groupes sociaux qui sont sous-représentés dans les clubs de sports tels que les femmes et les hommes homosexuels s’avèrent justement être surreprésentés dans les centres de fitness. Dans l’ensemble, les activités de remise en forme visent un idéal corporel assez uniforme et indépendant de l’âge et du genre : être en forme, mince et musclé. Ceci n’empêche pas que les activités spécifiques et les différents espaces soient ici aussi clairement genré∙e∙s. Les femmes sont souvent plus actives dans les cours en groupe sur fond musical, où l’accent est mis sur la perte de poids et le développement d’une silhouette corporelle sexuellement attirante pour les hommes (cours de « sexercice/exersex » ou cours « abdominaux-pectoraux-fessiers »).
Face au remodelage du corps (bodyshaping) des femmes se trouve le pendant masculin, le culturisme (bodybuilding), dont l’objectif est surtout le développement d’épaules larges.
En comparaison à la rivalité inhérente à la compétition entre clubs sportifs, c’est plutôt une bataille « tranquille » centrée sur l’apparence qui a lieu dans les centres de fitness, même si elle s’effectue à coup de campagnes publicitaires au sexisme criant. Désillusionné∙e∙s par des promesses commerciales genrées, beaucoup se sont vite rendus compte qu’il était pas si aisé d’obtenir un corps sain, en forme et sexy et ont décidé de clôturer leur abonnement.

Pour conclure

L’espace public appartient à tout le monde mais un peu plus à certaines personnes qu’à d’autres. Cette observation vaut aussi pour les facilités sportives privées et publiques. Nous avons toutes et tous droit à des possibilités d’activités sportives, mais tous les espaces sportifs ne garantissent pas le même niveau d’accessibilité à tout le monde. Les facilités permettant d’exercer un sport et de se sentir « chez soi » ne sont toujours pas comparables pour les femmes et les hommes, et varient aussi en fonction d’autres dimensions sociales telles que la classe sociale, le groupe ethnique ou l’orientation sexuelle. Je plaide donc pour davantage de féminisation et d’inclusion sociale dans les espaces sportifs au niveau aussi bien de la participation que de l’organisation et des processus décisionnels.