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Richesses Genre

Inégalités de revenu entre femmes et hommes : une inégalité persistante

8 mars 2020 François Ghesquière

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De nombreuses recherches autour de la question des inégalités s’intéressent au revenu. Très souvent, les chercheurs utilisent les revenus des ménages comme indicateur du niveau de vie des individus. Cela pose de sérieux problèmes quand on s’intéresse aux questions de genre, car cette manière de procéder conduit à nier les inégalités de revenus au sein des ménages, et donc au sein des couples. Ici, nous proposons une perspective quelque peu différente : nous étudions, non pas les revenus du ménage, mais les revenus perçus à titre personnel par les femmes et les hommes : salaires, allocations, pensions… [1]

Pour ce faire, nous avons construit, à partir de données d’enquête [2], un revenu personnel net en additionnant les salaires (y compris les avantages en nature), les revenus de l’activité indépendante, les allocations de chômage, les pensions, les allocations liées à une maladie ou une invalidité, les revenus d’intégration, les bourses d’étude et les congés parentaux, de paternité ou de maternité. Les loyers perçus, les revenus du patrimoine mobilier (intérêts, dividendes, profits), les allocations familiales, les allocations de naissance et les pensions alimentaires, n’ont par contre pas été pris en compte, car dans les données utilisées, ils sont collectés uniquement au niveau du ménage.

Notre approche est similaire aux études sur l’écart salarial [3], bien qu’elle comporte quelques différences. Ainsi, nous nous intéressons à toutes les personnes quel que soit leur statut (salarié, indépendant, pensionné, inactif…), alors que l’écart salarial est calculé sur une population restreinte aux seuls salariés [4]. Une autre différence réside dans le fait que nous mesurons ici le revenu net et non le revenu brut, comme c’est le cas pour l’écart salarial.

D’importants écarts de revenus entre femmes et hommes

Le graphique suivant compare le revenu personnel des femmes et des hommes en Wallonie. Précisons que nous avons restreint l’analyse aux personnes d’au moins 25 ans car la plupart des plus jeunes n’ont pas de revenu propre et sont encore à charge de leurs parents.

Notes de lecture. Les barres indiquent sur l’échelle de gauche le revenu net personnel moyen des hommes et des femmes en Wallonie. Par exemple, en 2017, le revenu des hommes s’élevait en moyenne à un peu plus de 24 000€ (pour la totalité de l’année, ce qui équivaut à un peu plus de 2000€ par mois). La ligne jaune indique, quant à elle, le rapport entre le revenu des femmes et des hommes, sur l’échelle de droite. Ce rapport est calculé en divisant le revenu moyen des femmes par celui des hommes. Par exemple, en 2005, le revenu moyen des femmes ne valait que 60 % du revenu moyen des hommes.

On observe que les écarts sont très importants. Ainsi, en moyenne, les femmes ont un revenu personnel qui n’équivaut qu’à 70 % du revenu des hommes. Même si l’écart s’est un peu réduit ces dernières années – au début des années 2000 les femmes ne gagnaient que 60 % du revenu des hommes –, il reste en soi très important. Cette inégalité est supérieure à l’écart salarial tel qu’il est officiellement calculé : en Wallonie les salaires bruts annuels des salariées s’élevaient à 78 % de celui des salariés.

Des inégalités d’ampleur variable selon le statut

La ventilation des revenus personnels selon le statut professionnel (que l’on montre dans le graphique suivant) permet d’expliquer en partie l’ampleur de l’écart de revenu personnel. En effet, les hommes se retrouvent plus souvent dans les catégories à revenus plus élevés (par exemple salarié à temps plein) et les femmes dans des catégories à revenus plus faibles (par exemple salarié à temps partiel ou autres inactifs).

Les écarts de revenus entre femmes et hommes varient aussi fortement selon les catégories.

Si les inégalités sont limitées au sein de la catégorie « salarié à temps plein » par rapport aux autres catégories, il est néanmoins élevé : le revenu des femmes y vaut 88 % de celui de ces hommes. [5]

La différence plus marquée chez les salariés à temps partiel s’explique probablement en partie par la nature quelque peu différente du régime des emplois à temps partiel chez les hommes et chez les femmes. En effet, les temps partiels longs s’approchant d’un temps plein (par exemple un 4/5e) sont plus fréquents chez les hommes que chez les femmes.

On remarquera que l’inégalité de revenu entre femmes et hommes est particulièrement limitée chez les demandeurs d’emploi. On peut trouver une piste d’explication de cette faible inégalité dans la répartition des catégories de bénéficiaires d’allocation de chômage, qui n’est pas très sexuée : si, en Wallonie, les bénéficiaires d’une allocation « isolé » sont à 65 % des hommes, ceux-ci ne constituent que 55 % des bénéficiaires d’une allocation « chef de ménage » et 50 % des « cohabitants ». [6] Ainsi si les hommes sont surreprésentés dans les bénéficiaires aux allocations « isolés », la représentation de genre est relativement équilibrée dans les allocations majorées (« chef de ménage ») et dans les taux réduits (« cohabitants »). Ce qui, l’un dans l’autre, ne doit pas conduire à de très grandes variations des montants perçus.

Les inégalités sont par contre très importantes chez les autres inactifs, mais cela peut (en partie) s’expliquer par des formes d’inactivité différentes selon le sexe. En effet, la majorité des femmes catégorisées comme « autre inactif » se déclarent comme au foyer (très souvent sans revenu propre), alors que les hommes de cette catégorie sont majoritairement en incapacité de travail (et perçoivent donc une allocation).

Les inégalités de revenu très marquées chez les retraités témoignent et s’expliquent par les inégalités antérieures sur le marché du travail. Les femmes ayant occupé des emplois peu rémunérés, des emplois à temps partiel, ayant eu de longues interruptions de carrière ou n’ayant pas ou presque pas travaillé ont évidemment des pensions beaucoup plus faibles. Les normes sexistes, les discriminations directes et indirectes expliquent largement cette plus faible insertion des femmes sur le marché du travail. On ne peut pas non plus exclure un effet de génération : la norme sexiste voulant que les femmes se consacrent davantage à leur foyer qu’à leur carrière était plus prégnante auparavant qu’aujourd’hui.

Au-delà de ces différences selon le statut professionnel, il est intéressant d’étudier les inégalités selon l’âge. On observe ainsi dans le graphique suivant que, même chez les classes d’âge actives sur le marché du travail, les inégalités sont plus prégnantes chez les générations plus anciennes. Ainsi, alors que le revenu moyen des femmes équivaut à 76 % du revenu moyen des hommes chez les 25-44 ans, il n’atteint que 67 % chez les 45-64 ans.

Tous ces chiffres montrent que les écarts de revenus entre femmes et hommes sont encore très importants aujourd’hui. Nous ne pouvons pas nier que nous vivons dans une société patriarcale encore très marquée par les rapports de genre. Les inégalités de revenu selon le genre ne se limitent d’ailleurs pas aux générations plus anciennes (catégorie des retraité ou classes d’âges plus âgées) et aux femmes au foyer, puisqu’on trouve aussi d’importants écarts de revenus chez les travailleurs (à temps plein et à temps partiel).

On peut aussi pointer le rôle quelque peu ambivalent de la sécurité sociale sur les inégalités de revenu entre femmes et hommes. D’un côté, cette institution limite les inégalités en protégeant les travailleurs contre les risques sociaux et en redistribuant les revenus. On observe, par exemple, que les écarts de revenus sont limités chez les demandeurs d’emploi. De l’autre côté, certains aspects de cette sécurité sociale sont foncièrement sexistes. Ainsi, l’accès (notamment à l’allocation de chômage) et le montant (notamment pour les pensions) dépendent de la carrière passée de la personne, ce qui conduit à exclure les femmes [7] ou à leur accorder des prestations de plus faible montant. En effet, diverses raisons – discriminations directes, discriminations indirectes, normes patriarcales attribuant aux femmes la responsabilité du travail domestique et cataloguant certains métiers comme féminins et d’autres (généralement plus valorisés et mieux rémunérés) comme masculins, faiblesse des dispositifs (garde d’enfants...) permettant de combiner carrière et parentalité…– conduisent les femmes à travailleur moins (temps partiel, interruptions de carrière, inactivité…) et à occuper des emplois moins rémunérés que ceux occupés par les hommes. Ces inégalités sur le marché du travail se répercutent ensuite sur l’accès à la sécurité sociale.

La complémentarité des mesures individuelles et au niveau du ménage

Les mesures de revenu individuel que nous avons développées n’ont pas pour vocation à remplacer les indicateurs construits à partir des revenus du ménage. Au contraire, les deux types d’indicateurs (individuels et au niveau du ménage) sont fondamentalement complémentaires. En effet, la principale limite des indicateurs individuels est qu’ils ne prennent pas en compte les dépenses nécessaires à la charge de famille. Ainsi, les indicateurs individuels tendent à minimiser les difficultés des mères monoparentales : alors que cette catégorie est confrontée à un taux de risque de pauvreté très élevé (47%) [8], elle fait face à un taux de dépendance financière plutôt faible (7%) [9]. Cela s’explique par le fait que les femmes seules avec enfant(s) vivent généralement dans des conditions précaires parce que leur seul revenu permet difficilement de répondre aux besoins de toute une famille. Par contre, elles sont indépendantes financièrement au sens où elles vivent sans compter sur une part du revenu d’un conjoint (ou d’un parent). Ainsi, plus qu’un indicateur du niveau de vie, la mesure du revenu individuel peut nous renseigner sur les rapports de pouvoir (financier) au sein des couples.

Notes

[1Les analyses présentées ici, proviennent de l’étude de l’IWEPS « Égalité entre les femmes et les hommes en Wallonie (cahier 4) : Revenus, pauvreté et dépendance financière des Wallonnes et des Wallons », disponible ici : https://www.iweps.be/publication/egalite-entre-les-femmes-et-les-hommes-en-wallonie-2019-cahier4/ et des fiches indicateurs actualisées qui en sont issues : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/revenus-personnels-selon-sexe/ et https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-dependance-financiere-selon-sexe/. Précisons aussi que si l’ensemble des chiffres utilisé ici concernent la Wallonie, l’analyse des données individuelles montre que les constats peuvent être généralisés à l’ensemble de la Belgique.

[2Il s’agit de l’enquête sur les revenus et les conditions de vie (SILC), réalisée par Statbel sous la supervision d’Eurostat. Pour plus d’information sur cette enquête, voir : https://statbel.fgov.be/fr/survey/enquete-sur-les-revenus-et-les-conditions-de-vie-silc

[3Voir, par exemple, les analyses produites par l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes : https://igvm-iefh.belgium.be/fr/activites/emploi/ecart_salarial

[4En outre, les salariés de très petites entreprises et les salariés des secteurs agricoles et des administrations publiques ne sont pas pris en compte pour calculer l’écart salarial.

[5Il est d’ailleurs marquant que cet écart soit plus important que l’écart salarial des travailleurs à temps plein en Wallonie (le salaire des femmes y vaut 97% de celui des hommes). Certains éléments méthodologiques (population étudiée différente, salaire brut vs revenu net…) peuvent expliquer cette différence, mais aussi une plus grande intermittence des carrières féminines (congés parentaux, contrats à durée déterminée, emplois moins stables…).

[7On observe ainsi que les femmes doivent plus souvent que les hommes recourir aux dispositifs d’assistance sociale : revenu d’intégration sociale (RIS) et garantie de revenu aux personnes âgées (GRAPA). Sur ce point, voir :https://www.iweps.be/indicateur-statistique/part-majeurs-beneficiant-de-laide-sociale/

[9Le taux de dépendance financière se construit comme le taux de risque de pauvreté (il quantifie la part de la population dont le revenu est inférieur à 60 % du revenu national médian) mais sur base du revenu personnel des individus de 18 ans et plus et non à partir du revenu équivalent (calculé à partir des revenus et de la taille du ménage). Plus d’informations sur cet indicateur se trouve ici : https://www.iweps.be/indicateur-statistique/taux-de-dependance-financiere-selon-sexe/.