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Travail Politique Classes sociales

Les attaques contre l’action syndicale, un discours de classe, biaisé et vecteurs d’inégalités sociales

29 février 2016 Mathieu Strale

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Prises d’otages, inefficacité, archaïsme, illégalité, irresponsabilité, conservatisme, coûts, opacité, corporatisme, irréalisme, dangerosité, violence… Les attaques contre les activités et mouvements syndicaux sont nombreuses et fréquentes. Alors apparaissent des propositions visant à limiter leur capacité d’action : création d’une personnalité juridique pour les syndicats, fin du rôle d’intermédiaire pour le payement du chômage, limitation des possibilités d’action. Tant l’origine de ces remises en cause que leur pertinence ou les résultats attendus de ces attaques posent des enjeux en matière d’inégalités sociales.

Ce sujet sera traité en deux articles, le premier identifiant l’origine de ces critiques et les moyens d’action mobilisés pour remettre en cause l’action syndicale, le second posant la question de la réalité de ces critiques et des conséquences en matière d’inégalités sociales.

Un discours de classe qui se renforce

Au niveau de ce premier volet, il s’agit de s’interroger sur l’origine des remises en cause de l’action syndicale et des formes prises par celles-ci.

Qui sont les opposants à l’action syndicale ?

Les organisations patronales sont le premier adversaire. Elles dénoncent les conséquences des mouvements sociaux pour leurs activités et revenus, ainsi que l’impossibilité de transformer plus avant le marché du travail. C’est une position logique, les syndicats se sont constitués pour fédérer et organiser les travailleurs face au patronat. Il ne faut cependant pas oublier que les syndicats sont utiles au patronat, en contrôlant et canalisant les revendications des travailleurs. Patrons et syndicats sont d’ailleurs « partenaires » dans de nombreuses instances visant à fixer les salaires et le droit du travail.

Les relais politiques du patronat se trouvent principalement au niveau des partis de droite : MR en Wallonie, N-VA et OpenVLD en Flandre. Ces partis sont les plus critiques vis-à-vis des syndicats et les plus actifs pour remettre en cause leurs modes d’action. Néanmoins, ces critiques tendent à s’étendre aux partis sociaux-chrétiens, CdH et CD&V et aux partis socialistes, PS et SPA. Nous y revenons dans la suite de l’article.

Au niveau de la population, l’hostilité vis-à-vis des mouvements syndicaux est inégalement répartie. La carte suivante, basée sur un recensement des signataires de pétitions dénonçant les mouvements sociaux et les syndicats dans la partie francophone du pays au moment des grèves et manifestations de la fin de l’année 2014 montre un lien statistique fort entre le standing des communes, c’est-à-dire leur capital socio-économique et culturel, et le taux de signataires.

Ondertekenaars van petities tegen stakingen en vakbondsacties
(op basis van 15.000 deelnemers op de website “lapetition.be”*)
Aandeel ondertekenaars per gemeente
(ondertekenaars/bevolking)
Aantal ondertekenaars per gemeente
Verband tussen het aandeel ondertekenaars en de standing van de gemeente
(enkel Waalse en Brusselse gemeenten, omvang van de cirkel evenredig met de bevolking van de gemeente)
Standing
Aandeel ondertekenaars

C’est dans les espaces riches que l’opposition est la plus forte, alors qu’elle est sous-représentée dans les entités pauvres. Ce résultat est logique, le taux de syndicalisation, et sans doute d’adhésion à leurs actions, est plus élevé chez les populations moins riches et salariées, alors qu’il est plus faible chez les cadres et les professions libérales.

La critique des syndicats et de leur action émane donc de leurs adversaires idéologiques et économiques : détenteurs de capitaux et moyens de production et droite, conservatrice ou libérale. Ces clivages se reflètent dans la population, les plus riches étant plus négatifs que les moins nantis.

Quelles voies d’actions ?

Les critiques et remises en cause de l’action syndicale s’orientent en trois axes : symbolique, juridique et législatif.

Du point de vue symbolique, il s’agit, par le discours, de remettre en cause l’utilité et les moyens mobilisés. Ce sont les médias qui sont au centre de cet enjeu, en relayant et appuyant les critiques vis-à-vis des mouvements sociaux . Au niveau des articles et reportages d’analyse, un équilibre existe entre les prises de parole des syndicats et de leurs opposants. Par contre, une place surdimensionnée et non compensée est laissée aux éditorialistes, intellectuels et autres spécialistes, qui sont majoritairement opposés aux mouvements sociaux et dont la supposée neutralité est très rarement remise en cause, alors qu’ils proviennent souvent de classes sociales élevées, peu favorables aux mouvements sociaux [1]. Par exemple, parmi les éditoriaux du Soir et de La Libre publiés depuis la formation du gouvernement Michel en septembre 2014, on dénombre 23 opinions négatives vis-à-vis des syndicats et de leurs actions pour 6 positives et 6 neutres [2]. Dans les articles d’actualité, les conséquences « spectaculaires » des conflits sociaux sont surmédiatisées : usagers bloqués, travailleurs empêchés d’entrer, violences… Par contre, les revendications des travailleurs et des syndicats, moins visibles, passent au second plan. Enfin, l’analyse de l’opinion sur les mouvements sociaux est limitée à des micros-trottoirs ou des sondages peu représentatifs [3].

Ainsi, les médias marginalisent les syndicats, en faisant passer leurs revendications et méthodes comme étant opposées au « bien commun » et à la population, alors qu’ils regroupent et représentent les intérêts de plus de 3.5 millions d’affiliés, bien plus de la moitié des travailleurs belges. Ces critiques sont alimentées par et nourrissent en retour les publications des partis politiques et groupes de pression hostiles aux mouvements sociaux.

Un autre axe d’action est juridique. Les dirigeants d’entreprises mobilisent de plus en plus souvent la justice, contournant les procédures d’arbitrage en matière de conflits sociaux qui réunissent les représentants des employeurs et des travailleurs. Pour justifier cette procédure d’exception, l’extrême urgence est invoquée : blocage d’une entreprise, d’un axe routier, dégradation… Si elle est reconnue, le tribunal rend une décision le jour même ou le lendemain, après avoir écouté les représentants des patrons, sans consultation ni même information de la procédure auprès des travailleurs et de leurs représentants. Ce n’est pas le droit de grève qui est jugé mais les abus qui auraient eu lieu dans l’exercice de ce droit. La marge d’interprétation est large et les décisions souvent défavorables aux travailleurs puisque leur position n’est pas entendue. Les jugements sont assortis d’astreintes. Pour contrer cette procédure d’exception devenue règle, il existe un recours, plus long, qui aboutit souvent lorsque le mouvement social a déjà été brisé. Ainsi, sans contester formellement le droit de grève, la judiciarisation le vide de sa substance.

Une dernière possibilité de mettre en cause l’action syndicale est de changer les lois qui la régissent. Ce sont les partis politiques et les gouvernements qui sont à la manœuvre. Comme nous l’avons signalé, les partis politiques de droite sont les plus actifs. Ainsi, le gouvernement fédéral actuel, par la voix du MR, de la N-VA et de l’OpenVLD surtout, veut remettre en cause l’action syndicale : création d’un service minimum en cas grève dans les services publics, mise en place d’une personnalité juridique pour les syndicats, limitation des possibilités de piquets de grève… Néanmoins, on remarque que le Gouvernement wallon, composé du cdH et du PS entend également créer un service minimum dans les TEC, critique régulièrement les grèves des transports publics [4] et plaide pour des sanctions [5]. De même, le cdH et le CD&V ne s’opposent pas à la création d’une personnalité juridique pour les syndicats [6]. La distinction entre la droite, le centre et la gauche traditionnelle est donc très ténue sur ces dossiers.

Ces trois formes d’attaques, émanant de groupes sociaux forts et disposant de moyen d’action et de communication bien établis, se conjuguent, se complètent et se renforcent et participent à un climat très défavorable à l’action syndicale en Belgique.

Notes

[2Comptages réalisés par l’auteur.

[3Voir l’article de Micheline Zanatta : La grève, moyen de lutte d’hier. Et d’aujourd’hui ?, ANALYSE DE L’IHOES N°121.

[4Voir par exemple, les articles de la Libre Belgique et de Sudinfo.

[5Voir l’article de L’Avenir.

[6Voir l’article de RTL info.