Les voitures de société : un scandale fiscal et social
21 avril 2016
Caitlin Regan@flickr.com
D’après des estimations réalisées par la Fédération Inter-environnement Wallonie [1], le nombre de voitures de société (en guise de rémunération extra-salariale ou « voiture salaire ») peut raisonnablement être estimé en janvier 2011 à 500 000 véhicules, soit un peu moins de 9,5 % du parc automobile. Il s’agit de véhicules qui peuvent être utilisés sans l’autorisation de l’employeur pour les déplacements professionnels ou privés. Ce chiffre ne prend pas en compte les véhicules de service ou de flotte qu’un employeur met à la disposition de son personnel pour les déplacements professionnels.
Les voitures de société sont tellement nombreuses parce qu’elles sont beaucoup moins taxées que les salaires. Ce système est donc avantageux pour le bénéficiaire et pour son employeur. En revanche, cet avantage fiscal a un coût très important pour le budget de l’État. Premièrement, les employeurs ne paient pas de cotisations sociales sur les véhicules de société (ils paient néanmoins une cotisation de solidarité mais le montant est très inférieur aux cotisations sur les salaires). Deuxièmement, les employés ne paient pas de cotisations sociales sur l’avantage en nature constitué par la voiture de société. Enfin, la législation sous-estime très fortement l’avantage en toute nature représenté par une voiture de société et induit de ce fait une perte de recettes pour l’impôt des personnes physiques. Si on prend en compte ces 3 éléments (cotisations ONSS patronales, cotisations ONSS employés et baisse de l’impôt des personnes physiques), la Fédération Inter-environnement Wallonie estime le manque à gagner à 3,5 milliards d’euros pour les recettes l’État.
Or, le système des voitures de société profite essentiellement aux ménages avec de hauts revenus. Comme on le voit dans le tableau ci-dessous, 5 % des ménages flamands qui ont des revenus nets compris entre 2000 et 3000€ par mois ont une voiture de société tandis qu’ils sont près de 25 % pour les ménages qui gagnent plus de 5000€ nets par mois. Il va sans dire que les ménages qui ont moins de 2000€ nets par mois n’ont presque jamais accès à un véhicule de société. La voiture de société constitue donc bien une forme de défiscalisation des hauts revenus dans le secteur privé puisque les bénéficiaires du système parviennent à réduire de fait le taux de taxation sur leurs rémunérations.
Par ailleurs, outre ce subside aux ménages qui ont de hauts revenus, les voitures de société ont des répercussions majeures sur les comportements de mobilité et sur l’environnement [2] :
- les voitures de société incitent les personnes concernées à utiliser leur véhicule privé (dont l’usage est souvent gratuit) plutôt que les transports en commun (payants). L’étude PROMOCO [3] établit que 84 à 93% des personnes disposant d’une voiture de société se rendent au travail en voiture, contre 59% de ceux qui n’en ont pas ;
- une personne bénéficiant d’une voiture de société roulera 9 000 km annuels supplémentaires par rapport à une personne de même profil (même sexe, habitant à la même distance du lieu de travail et devant réaliser avec la même fréquence des déplacements professionnels) ayant sa voiture personnelle ;
- en 2010, la moyenne des émissions de CO2 des voitures de société neuves achetées en Belgique était de 146,8 g/km, contre 129,7 g/km pour les voitures achetées par les ménages. Les voitures de société sont donc plus « grosses » et consomment davantage de carburant par kilomètre ;
- l’usage intensif de la voiture a des répercussions en termes de congestion et de construction d’infrastructures routières, et ce, au détriment des modes de transports alternatifs comme les transports collectifs ou le vélo ;
- le renouvellement plus fréquent des voitures de société engendre un surcroît de pollution liée à la fabrication et au retraitement en fin de vie des véhicules qui est rarement contrebalancé par une consommation plus faible en carburant des véhicules plus récents.
De manière à mieux mettre en perspective la profonde injustice du système des voitures de société et la perte de recette pour le budget de l’État, il est utile de comparer les montants aux budgets des allocations sociales. En 2012, les dépenses de l’assurance chômage ont été de 6,1 milliards d’euros (dont 0,77 milliards d’euros ont été versés à des chômeurs temporaires, c-à-d à des travailleurs encore liés par un contrat de travail et non aux demandeurs d’emplois indemnisés). Les dépenses liées aux prestations familiales (allocations familiales et primes de naissance) ont quant à elles été de 6 milliards d’euros [4]. Le coût du système des voitures de société (3,5 milliards d’euros) représente donc près de 60 % du budget des allocations de chômage ou des prestations familiales !
Or, s’il est bien à l’ordre du jour de faire des économies sur l’assurance chômage qui concerne le plus souvent des ménages en difficulté, il est plus rare d’évoquer la possibilité de supprimer la défiscalisation des hauts salaires engendrée par le système des voitures de société.
Notes
[1] Pierre Courbe (2011), « Voitures de société : oser la réforme ! », Fédération Inter-environnement Wallonie.
[2] Les informations ci-dessous sont issues de l’article de Pierre Courbe (2011).
[3] E. Cornelis, M. Castaigne, X. Pauly, A. De Witte, K. Ramaekers. Professional mobility and company car ownership “Promoco”. Final Report. Brussels : Belgian Science Policy 2009 – 126 p, cité par Pierre Courbe (2011)
[4] Ces chiffres sont issus de la brochure : « Les dépenses sociales en Belgique : Chiffres-clefs 2012 » réalisée par le SPF Sécurité Sociale.