Les écarts d’espérance de vie en fonction des conditions de logement
27 janvier 2022
Le cadre de vie et le logement sont des déterminants importants de la santé et de la survie des individus. Cette étude s’attarde sur les différences d’espérance de vie en fonction de la qualité de l’habitat, avec une attention particulière donnée au statut d’occupation du logement, c’est-à-dire si ses habitants en sont les propriétaires ou les locataires. En Belgique, on estime que le quart de la population vivant dans les meilleures conditions de logement vivent en moyenne 3,5 années de plus que les 25 % les moins bien logés. [1]
Simon Jowett - Wake Me Up (Explore)
Le logement, les fondations du bien-être
Le droit au logement est entré dans la Constitution belge en 1994 et stipule que toute personne vivant en Belgique a droit à un logement décent et adapté à ses besoins. Résider dans un logement de moindre qualité et/ou surpeuplé soumet les individus à des risques sanitaires importants et variés. Un logement insalubre, qu’il est difficile ou impossible de chauffer et où l’isolation est mauvaise, augmente le risque d’infections respiratoires et de problèmes d’asthme par exemple [2]. Également – et c’est un élément que la crise sanitaire de la Covid-19 a mis en avant – un logement très densément peuplé accélère la propagation des virus et des maladies transmissibles [3]. En ce qui concerne les enfants et les personnes âgées, la configuration du logement joue dans leur risque d’accident [4]. Et n’oublions pas qu’un logement de piètre qualité est un catalyseur du mal-être psychologique, en mettant à mal l’estime d’eux-mêmes de ses habitants et leur sentiment d’appartenance, et peut provoquer un repli sur soi et une stigmatisation sociale [5].
Un contexte d’inégalités sociales qui se creusent
Comme de nombreux pays européens, la Belgique connait un allongement global de l’espérance de vie et une amélioration moyenne de l’état de santé. Cependant, ce phénomène est plus rapide pour les catégories aisées qui sont plus sensibles à la prévention des maladies cardiovasculaires et respiratoires, du diabète, et d’autres pathologies dites évitables. En outre, ils ont une alimentation plus saine grâce à de meilleures ressources financières, de meilleures conditions de travail, un environnement moins pollué, ils fument moins et bénéficient et bénéficient de dépistages plus réguliers [6]. On assiste donc à un creusement des inégalités sociales de santé et de mortalité.
Cet écart croissant est-il visible à travers les conditions de logement ? Une bonne qualité de logement et un statut de propriétaire sont le plus souvent associés à une bonne situation socioéconomique. De plus, d’après les recensements des 1991 et 2011, les conditions de logement en Belgique s’améliorent : on estime que moins de 1 % de la population vit dans un logement sans salle de bain privée en 2011, contre 8 % en 1991. De même, en 1991, près d’un tiers des logements étaient démunis de chauffage central, contre 10 % en 2011. Dans un tel contexte, la qualité du logement compte-t-elle encore parmi les déterminants majeurs des inégalités sociales de santé et de mortalité ?
Pour mesurer les conditions de logement, un indice multidimensionnel a été calculé sur base de plusieurs variables présentes dans les recensements : le statut d’occupation (propriétaire ou locataire), la densité (nombre de pièces par personne), la présence d’une salle de bain, de toilettes, d’un chauffage central et de double vitrage, (ainsi que d’une cuisine séparée et d’un garage pour 1991 uniquement). Cet indice a permis de définir des quartiles (25 %) de la population en fonction de leur niveau de confort de logement (très bas, bas, bon, très bon).
Le creusement des inégalités sociales de mortalité est couramment étudié grâce à l’espérance de vie. Cet outil statistique permet d’évaluer la durée moyenne de vie d’une population que l’on soumettrait à des conditions d’existence particulières. Ainsi, nous avons calculé l’espérance de vie à la naissance des périodes 1992-1996 et 2011-2015 de la population belge en fonction des conditions de logement et du statut d’occupation de celui-ci, propriétaire ou locataire [7].
Cette figure représente l’espérance de vie à la naissance des hommes et des femmes sur deux périodes temporelles (1992-1996 et 2011-2015), en fonction de leurs conditions de logement.
Sur la période 1992-1996, les hommes habitant dans un logement de très basse qualité vivaient 5,6 années en moins que ceux vivaient dans un logement de très bonne qualité. Pour les femmes, ce chiffre est de 4,1 années. Sur la période la plus récente (2011-2015), un homme vivant dans un logement de très bonne qualité peut s’attendre à vivre près de 3,7 années supplémentaires par rapport à un homme vivant dans un logement de très basse qualité. Pour les femmes, cet écart est de 3,3 années.
Les écarts d’espérance de vie en fonction des quartiles de qualité du logement diminuent donc dans le temps. Ce résultat est paradoxal dans un contexte d’expansion des inégalités sociales de santé.
Le logement, un lieu où les inégalités prennent place dans la vie et dans la mort
Comment expliquer que la qualité de logement, contrairement à la majorité des autres indicateurs socioéconomiques (comme le statut d’occupation du logement, le niveau d’instruction ou la catégorie socioprofessionnelle), ne confirment pas le creusement des inégalités sociales de santé et de mortalité ?
Au début des années 1990, le mal-logement touchait principalement les populations défavorisées. Au début des années 2010, ce phénomène touche une population un peu plus variée d’un point de vue socioculturel et dont le niveau d’instruction est en moyenne plus élevé que vingt ans auparavant. Cette relative diversification sociale du mal-logement peut s’expliquer par une certaine difficulté des jeunes diplômés à s’insérer sur le marché du travail, mais aussi aux fractures du parcours de vie, tels que les séparations qui impliquent souvent un changement de logement et de niveau de vie. Ces « accidents de la vie », bien qu’en moyenne plus fréquents chez les personnes déjà fragiles d’un point de vie socioéconomique [8], n’épargnent pas les autres catégories sociales : ces périodes d’instabilité et de précarité fragilisent les individus, favorisent le déclassement social et accroissent le risque de connaitre, même temporairement, une période de mal-logement [9].
Cependant, il convient de rappeler que les sources de données utilisées dans cette recherche présentent des limites. Contrairement à d’autres informations objectives telles que le statut d’occupation du logement ou même le niveau d’instruction, les informations liées à la qualité du logement en 2011-2015 peuvent faire l’objet de biais de mesure, d’erreurs de déclaration et d’absence de mises à jour régulières.
En dépit des changements de composition, vivre dans un logement de qualité reste un avantage majeur en termes de santé et de survie. Cet avantage n’est pas uniquement lié à la corrélation entre de bonnes conditions de logement et une situation socioéconomique avantageuse : des analyses complémentaires ont démontré qu’à niveaux d’instruction, catégories socioprofessionnelles et revenus égaux, un bon confort de logement et un statut de propriétaire en 2011 demeurent significativement associés à un moindre risque de décès sur la période 2011-2015 [10].
Remerciements
L’autrice remercie particulièrement Patrick Lusyne et Cloë Ost (Statbel) pour la mise à disposition des données, ainsi que Thierry Eggerickx, Jean-Paul Sanderson, Christophe Vandeschrick, Christine Schnor, Bruno Masquelier et Ashira Menashe-Oren pour leur contribution dans l’accès aux données ou pour leur relecture de l’article dont est tiré ce court texte.
Notes
[1] Damiens, J. (2020). The impact of housing conditions on mortality in Belgium (1991–2016). Journal of Population Research, 37(4), 391-421. ; Van Aerden, K. (ed.), Dal, L., Damiens, J., De Moortel, D., Eggerickx, T., Gourbin, C., Haegedoorn, P., Huegaerts, K., Majérus, P., Masquelier, B., Sanderson, J-P., Van Cleemput, O., Vandeschrick, C., Vanroelen, C., Vanthomme, K., Willaert, D. & Gadeyne, S. (2019) CAUSINEQ. Causes of health and mortality inequalities in Belgium : multiple dimensions, multiple causes. Final Report. Brussels : Belgian Science Policy Office, 106 p.
[2] Boomsma, C., Pahl, S., Jones, R. V., & Fuertes, A. (2017). "Damp in bathroom. Damp in back room. It’s very depressing !" exploring the relationship between perceived housing problems, energy affordability concerns, and health and well-being in UK social housing. Energy Policy, 106, 382–393. ; Shaw, M. (2004). Housing and public health. The Annual Review of Public Health, 25, 397–418.
[3] Krieger, J., & Higgins, D. L. (2002). Housing and health : Time again for public health action. American Journal of Public Health, 92(5), 758–768.
[4] Shaw, 2004, ibidem
[5] Evans, G. W., Wells, N. M., & Moch, A. (2003). Housing and mental health : A review of the evidence and a methodological and conceptual critique. Journal of Social Issues, 59(3), 475–500.
[6] Jusot, F. (2010). Les interventions de réduction des inégalités sociales de santé en Europe (Interventions to reduce social inequalities in health in Europe). Réduire les inégalités sociales en santé (pp.73–88). Paris : INPES.
[7] Les données utilisées ont été mises à dispositions des chercheurs par Statistics Belgium dans le cadre du projet Causineq, qui visent à étudier les disparités sociales face à la mortalité générale. Ce jeu de données est le fruit d’un couplage des trois recensements de 1991, 2001 et 2011 avec les bulletins de décès de 1991 à 2016. Les recensements sont les principales sources d’information en ce qui concerne les conditions de logement, tandis que les bulletins de décès nous renseignent sur la date du décès.
[8] Amato, P. R., & Previti, D. (2003). People’s reasons for divorcing : Gender, social class, the life course, and adjustment. Journal of family issues, 24(5), 602-626.
[9] Bugeja-Bloch, F. (2013) Logement, la spirale des inégalités. Paris, Puf. ; Eggerickx, T., Léger, J. F., Sanderson, J. P., & Vandeschrick, C. (2018). Inégalités sociales et spatiales de mortalité dans les pays occidentaux. Les exemples de la France et de la Belgique. Espace populations sociétés. Space populations societies, (2018/1-2).
[10] Damiens, 2020, ibidem