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Education Santé

Pas de remboursement de la logopédie pour les enfants à faible QI

26 février 2015 Thomas Dabeux

Pas de licence spécifique (droits par défaut)

Des études récentes ont montré que les Belges étaient généralement satisfaits de leur système de santé. Ces Belges-là ne sont sans doute pas parents d’enfants avec une déficience intellectuelle. Car s’il est bien une inégalité persistante dans notre système de soins actuel, c’est la différence de traitement qui est faite, concernant le remboursement des séances de logopédie, entre les enfants ayant un QI supérieur à 86 et ceux dont le QI n’atteint pas ce seuil de référence. Les premiers pouvant ainsi bénéficier du système de remboursement de la sécurité sociale alors que les seconds en sont tout simplement exclus.

Lorsqu’un enfant, ou un adulte, présente un trouble du langage, il peut consulter un médecin spécialisé qui établira un diagnostic, l’orientera et lui prescrira, le cas échéant, des séances de logopédie. Il peut alors introduire un dossier auprès de sa mutuelle afin de bénéficier du remboursement des séances prescrites. Ceci est le parcours « classique ».

Cependant, en ce qui concerne certains problèmes spécifiques, comme les troubles du langage et la dysphasie [1], la mutuelle exige, en plus des documents généralement requis, un test de QI afin de déterminer si, oui ou non, le patient a effectivement droit à un remboursement. Si le bénéficiaire des séances ne peut témoigner d’un score supérieur à 86, sa mutuelle n’interviendra pas.

Avant de poser la question du caractère discriminatoire d’un tel critère, essayons de comprendre l’origine de sa mise en œuvre.

Historique

Le critère « QI » a été mis en œuvre à partir de 1996 par la Sécurité Sociale [2] pour des raisons principalement budgétaires, mais aussi pour répartir les soins entre traitements multidisciplinaires (intégrant tant de la logopédie que d’autres soins) et traitements relevant exclusivement de la logopédie. Étant donné que le budget « logopédie » de la sécurité sociale dépend d’une enveloppe fermée, des critères ont été mis en place pour contrôler ce budget. Le QI représente donc, en quelque sorte, un « alibi financier ». Afin de se faire une idée de l’ordre de grandeur, le budget logopédie était de 83.000.000 € en 2013.

Public concerné

Même si tous les publics ne nécessitent pas de logopédie, cette limitation touche, de fait, un pourcentage assez élevé de la population, puisque 16% de la population présente un QI inférieur à 86. Ainsi, cette limitation concerne non seulement le public ayant une déficience intellectuelle (QI inférieur à 75), mais également la part de la population classée dans la catégorie « intelligence faible ».

La justification du critère du QI

Le premier argument pour refuser le remboursement des séances de logopédie est, nous l’avons vu, d’ordre budgétaire. Un second argument de la commission responsable de cette question au sein de la Sécurité Sociale est plutôt d’ordre scientifique. Des études montreraient que la prise en charge des personnes avec un QI inférieur à 86 est insuffisante avec uniquement des séances de logopédie. Dans le cas de ces personnes, une prise en charge multidisciplinaire serait préférable (logopédie, kinésithérapie...). Le troisième argument consiste à dire qu’il existe des structures spécifiques destinées à accueillir les personnes exclues du système ordinaire, à savoir : les établissements d’enseignement spécialisé et les Centres de Réadaptation Ambulatoire (CRA), qui offrent tous deux une prise en charge multidisciplinaire.

L’enseignement spécialisé

La justification de cette limitation en fonction du résultat du test réside dans le fait que les enfants avec une déficience intellectuelle fréquentent (généralement) des établissements d’enseignement spécialisé, lesquels comptent dans leurs équipes des logopèdes chargés de dispenser des séances aux élèves.

Cette vision pose trois problèmes importants :

 Il n’existe aucun contrôle externe dans les établissements d’enseignement spécialisé concernant la dispense effective de ces séances. Il nous revient régulièrement du terrain des témoignages de parents dont les enfants ne bénéficient d’aucune séance dans leur établissement car les heures normalement prévues pour la logopédie sont parfois affectées à d’autres tâches de réadaptation (kiné,…)

 Une telle mesure enferme définitivement l’enfant déficient intellectuel dans le circuit de l’enseignement spécialisé alors que ces enfants sont de plus en plus souvent intégrés dans des écoles ordinaires. Le débat ne porte pas bien sûr ici sur la question du bien-fondé de l’enseignement spécialisé par rapport à l’inclusion scolaire dans des établissements ordinaires. Il s’agit plutôt de garantir aux familles la liberté de choix. Et ce choix devrait être guidé par un souci de bien-être de l’enfant plutôt que par des considérations financières. Ainsi dans le cas où une famille ferait le choix d’inscrire son enfant dans une filière ordinaire, elle devrait, comme pour tout autre enfant, pouvoir bénéficier du remboursement de séances de logopédie. Ce qui n’est pas le cas actuellement. Par ailleurs, un grand nombre d’enfants dont le QI est inférieur à 86 fréquentent des établissements ordinaires, et n’ont pas accès à des séances de logopédie dans leur école.

 De plus, les enfants réalisant ces tests auront d’autant plus tendance à obtenir des scores faibles lorsqu’ils présentent déjà des troubles du langage. Or, c’est justement un meilleur accès à la logopédie qui leur permettrait d’améliorer leurs capacités cognitives et communicationnelles et donc, d’avoir les outils leur permettant de passer un test dans des conditions optimales. Les spécialistes comprennent évidemment très bien ce problème et, quand la situation le permet, ils se dirigent vers des tests plus « généreux » en termes de points afin de permettre à l’enfant de franchir ce seuil de 86. Mais ces arrangements ont leurs limites et ne fonctionnent qu’un temps.

Les centres de réadaptation ambulatoire [3]

Pour les personnes ne bénéficiant pas du remboursement de leur assurance obligatoire pour les séances de logopédie en raison d’un score trop faible au test de QI, il leur est possible de s’adresser à un centre de réadaptation ambulatoire. La prise en charge du patient est ici multidisciplinaire. La Belgique compte actuellement 98 centres.

Voici leur répartition à Bruxelles et en Wallonie :

La cartographie fait rapidement apparaître un premier problème relatif à la répartition géographique de ces différents centres sur le territoire wallon et, dans une moindre mesure, sur le territoire bruxellois. Ces centres sont en effet soit très peu présents, voire inexistants, dans certaines provinces (Luxembourg, Namur, Brabant-Wallon) soit concentrés dans un même espace géographique (Hainaut et Liège).

De plus, l’accès à ces centres spécialisés ne se fait pas immédiatement, en tout cas en Wallonie, et nécessite au préalable une inscription sur une liste d’attente. Le temps d’attente peut, dans certains centres, aller jusqu’à 2 ans.

Des situations différentes en Flandre et en Wallonie

Dans le contexte belge, les problèmes ne peuvent souvent se comprendre qu’en rapport avec le contexte communautaire et institutionnel dans lequel ils s’inscrivent.

Différentes propositions ont en effet déjà été émises au sein de la Commission de Convention des Logopèdes (l’organe chargé de la logopédie dans la sécurité sociale), afin de soit, éluder ce critère QI ou soit, mettre en place des alternatives [4]. Mais ces projets et propositions n’ont jamais abouti. Selon certains, le blocage viendrait, en partie, de l’association des logopèdes flamands (Vlaamse vereniging voor logopedisten) arguant que cette problématique du remboursement des séances de logopédie est avant tout un problème francophone.

Pourquoi ? Parce que la Flandre dispose de son côté de structures multidisciplinaires mieux réparties sur son territoire et que les listes d’attente sont très courtes, permettant ainsi une prise en charge rapide et adaptée. Par ailleurs, un projet d’enseignement de type 9 [5] va voir le jour en Flandre afin d’offrir une alternative entre le spécialisé et l’ordinaire [6]. Le raisonnement de la composante flamande dans la Sécurité Sociale est celui-ci : pourquoi grever le budget de l’État fédéral dont les ressources sont déjà limitées alors que ce sont les communautés (française et flamande) qui devraient faire un effort budgétaire, via l’organisation d’un enseignement adapté et une meilleure gestion des centres de réadaptation ambulatoires, désormais compétence communautaire ?

Si cette vision ne fait pas l’éloge d’un modèle de solidarité entre le Nord et le Sud du pays, elle a le triste mérite de mettre en avant un aspect du problème.

Du point de vue du droit

Au-delà de l’approche politique et économique, cette restriction est-elle tenable d’un point de vue juridique ? L’utilisation du critère du QI pourrait-elle être interprétée comme une discrimination directe ou indirecte puisqu’elle rend difficile, comme nous l’avons vu, l’inclusion effective dans la société ? Par ailleurs, aucun mécanisme de recours n’est prévu dans le cas où quelqu’un voudrait contester un élément de fond des nomenclatures élaborées, par exemple le QI. [7]

Étude de cas

Imaginons le cas d’un enfant trisomique vivant à Arlon. Le directeur de l’école voisine a mis en place quelques aménagements pour lui permettre de suivre une scolarité au sein d’une classe d’enseignement ordinaire. L’enfant aurait cependant besoin de séances de logopédie pour lui permettre de poursuivre sa scolarité et lui permettre ainsi de réussir au mieux sa socialisation dans sa classe et son école. Mais son quotient intellectuel est trop faible pour que son assurance obligatoire intervienne. L’école que l’enfant fréquente ne prévoit pas de logopède et le centre CRA le plus proche est celui de Jambes, à 130KM de son domicile. Quatre solutions se dégagent :

 Les parents effectuent un trajet hebdomadaire pour que leur enfant suive ses séances au CRA de Jambes.

 Les parents prennent à leur charge les séances de logopédie de leur enfant, si leurs moyens financiers le permettent ;

 ou renoncent à ces séances, ou à l’inclusion dans l’enseignement ordinaire, s’ils ne peuvent envisager l’une des deux premières solutions.

 Choisissant l’enseignement spécialisé, ils ne sont pas encore assurés que leur enfant bénéficiera de logopédie à l’école.

Quelle que soit l’option choisie, aucune de ces solutions n’est satisfaisante.

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Notes

[1La dysphasie est un trouble de l’apprentissage du langage.

[2C’est plus précisément l’INAMI (Institut national d’assurance maladie invalidité) qui est responsable du remboursement des séances de logopédie.

[4Comme par exemple le projet de guidance mis en place par le Groupe de Travail « Troubles du langage chez les enfants jeunes »

[5Pour un descriptif des huit types de l’enseignement spécialisé, voir : Martine va à l’école spécialisée

[6Rien n’est encore à ce jour clair concernant l’organisation et la forme que prendra ce nouveau type d’enseignement.

[7Seules 2 procédures sont prévues actuellement. La première consiste à porter l’Arrêté Royal (Nomenclature) devant le Conseil d’Etat dans les 60 jours suivant sa publication au Moniteur ou de faire un recours devant le Conseil d’État pour contester une décision administrative (sur l’interprétation du texte) du Comité de l’Assurance.