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Education Classes sociales

Quand on veut, on peut !

Suffit-il d’avoir accès à l’université pour y réussir : le cas de la KUL

2 septembre 2023 Anne-Laure Mathy
Cet article est la republication d'un article initialement paru le 29 octobre 2018

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Les inégalités dans l’enseignement supérieur flamand sont-elles encore présentes ? À priori, l’accès aux études supérieures semble relativement démocratisé grâce aux bourses et à un minerval plafonné. Par ailleurs, les critères d’accès ne sont pas d’emblée restrictifs. En effet, mis à part l’accès conditionné par un examen d’entrée aux études de médecine, de dentisterie et les écoles d’art, seul un équivalent-CESS est demandé et son taux d’obtention en Belgique avoisinait les 75% chez les 18-24 ans en 2014 [1].

Lorsque l’on s’intéresse aux inégalités dans l’enseignement supérieur, deux filtres sociaux semblent opérer : l’accès et le succès. Ces deux filtres ont fait l’objet d’une étude à partir de données collectées à la KUL (Katholieke Universiteit van Leuven) sur ses étudiants en première année depuis 1964. Les résultats présentés dans cet article en sont issus.

Massification de l’accès à l’Université

Le graphique ci-dessous montre une évolution des inscriptions en première année à la KUL depuis 1964 :

On remarque une très nette progression des inscriptions en première année, puisque l’on passe de 2000 inscriptions en 1964 à presque 9000 en 2014. Il semblerait donc qu’il y ait bien eu une « massification » de l’accès à l’université. Ce phénomène se traduit par l’idée qu’il suffirait d’en avoir envie pour y arriver : quand on veut, on peut ! Selon ce discours très largement répandu, le succès serait déterminé par le choix individuel : les plus méritants parviendront au succès s’ils le décident. Mais est-ce que cette massification est synonyme de démocratisation ? Pour répondre à cette question, observons le succès des étudiants en première année à l’université.

Le succès en première année, le vrai filtre social

Le graphique ci-dessous présente le taux de succès en première à la KUL depuis 1964 en fonction du niveau d’éducation du père. On observe en 1964 un taux de succès très similaire pour tous les étudiants, quelle que soit leur origine sociale. Entre 55 et 60% des étudiants admis en première réussissent cette année. Ceci s’explique par le fait qu’à l’époque, on envoyait son enfant à l’université avec la quasi-certitude qu’il allait réussir, tant l’accès constituait un sacrifice financier pour les familles moins aisées [2]. Les étudiants issus des classes populaires ne sont alors, à ce moment-là, pas représentatifs de leur classe sociale, étant « sur-sélectionnés » : seuls les enfants au parcours académique très prometteur s’inscrivent à l’université.

Avec la massification de l’université dans la deuxième partie du XXe siècle, les classes populaires ont eu de plus en plus accès à l’université. Cependant, on observe très nettement dans le même temps que les écarts dans la réussite se sont creusés selon l’origine sociale : le graphique montre que les étudiants ayant un père peu diplômé ont un taux de succès comparativement beaucoup plus bas (17%) que ceux ayant un père diplômé de l’université (36%) en 2014. Il faut noter que le taux de succès s’effondre de manière systématique après 2004. Cette importante baisse du taux de succès est due à la disparition de l’année d’étude au profit du cycle, changeant la manière de calculer la réussite. Ceci, cependant, ne modifie en rien les conclusions de cette étude : les écarts de succès selon l’origine sociale restent importants en 2014. Ainsi, quand bien même il deviendrait plus aisé financièrement d’entamer des études supérieures, il semblerait que tout le monde ne soit pas sur un même pied d’égalité face à la réussite.

On peut également observer le taux de succès des étudiants en première année à la KUL en fonction du niveau d’éducation de leur mère. Si l’on regarde le graphique suivant, on voit que les résultats ne sont pas tellement différents si ce n’est qu’en 1964, ceux ayant une mère hautement diplômée avaient déjà un taux de succès largement supérieur aux autres. Il est intéressant de noter qu’avoir une mère hautement diplômée semble déjà un avantage en 1964. Ce phénomène tient sans doute au fait que les étudiants ayant une mère universitaire en 1964 proviennent d’un milieu très aisé, l’accès des femmes à l’université étant réservé à une toute petite élite à l’époque ou ces femmes ont entamé leurs études [3].

Conclusion

Aujourd’hui, le problème des inégalités sociales face à l’université ne réside pas tant dans les possibilités d’admission qu’ont les étudiants, mais bien dans leurs possibilités de réussite. Autrement dit, le filtre de l’accès s’est progressivement effacé au profit de celui du succès dans la création des inégalités sociales. Naturellement, les inégalités sociales ne s’expriment pas pour la première fois à l’université. Elles sont héritées des phases antérieures et plusieurs études mettent en avant le rôle de l’origine sociale dans le choix de l’école secondaire qui lui-même s’avère déterminant pour l’acquisition de compétences nécessaires à la réussite universitaire [4]. On voit néanmoins, à travers les différences de succès selon l’origine sociale, que les universités entretiennent les inégalités au moyen de mécanismes qui leur sont propres. Ces conclusions sont malheureusement loin d’être inédites et ne risquent pas de s’améliorer avec le sous-financement des institutions publiques dont font preuve les politiques d’austérité actuelles. Il faudrait au contraire investir à chaque niveau d’enseignement pour un véritable accès démocratique aux études supérieures.

Notes

[1Eurostat, 2018, https://ec.europa.eu/eurostat.

[2I. DE LANOO, “Stratifikatieproblemen en demokratisering van het universitair onderwijs”, De Nederlandsche Boekhandel, Antwerpen, 1969.

[3Par exemple, en 1930-31, les femmes représentent 5% des étudiants à l’UCL, https://fr.wikipedia.org/wiki/Femmes_dans_les_universités_en_Belgique.