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Education Classes sociales

La mixité dans les écoles et dans les classes est-elle bénéfique aux enfants défavorisés ?

11 février 2019 Gilles Van Hamme, Pierre Marissal

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L’article de François Ghesquière publié sur ce site a résumé les arguments en faveur d’une plus grande mixité dans les écoles [1]. Nous publions ici une réponse montrant les limites de ces arguments, et, à tout le moins, le caractère limité de l’effet de la mixité scolaire en comparaison avec le poids déterminant de l’origine sociale des élèves.

Les bénéfices de la mixité scolaire sont généralement considérés comme acquis. Dans un cadre socialement mixte, les enfants issus de milieux défavorisés bénéficieraient d’autres modèles – plus positifs - que celui de leur milieu d’origine, d’un encadrement meilleur parce que les enseignants ne seraient pas débordés par l’accumulation de difficultés sociales et scolaires, d’un enseignement en moyenne de meilleure qualité,... Pourtant, il n’est guère évident que la mixité sociale dans les écoles et dans les classes permette en elle-même d’améliorer les performances scolaires des élèves de faible niveau socio-économique, si du moins on vise seulement sous le terme de performances les acquisitions de savoirs et de compétences faisant l’objet d’une évaluation académique.

Il ne s’agit pas ici de se substituer aux nombreux spécialistes travaillant sur cette question, mais de proposer un débat accessible sur cette question de société.

Discussion sur les effets positifs de la mixité sociale en milieu scolaire

L’article de François Ghesquière publié sur ce même site [2] résume très bien les deux types d’études ayant montré les effets bénéfiques de la mixité sociale en milieu scolaire. En effet, les avantages de la mixité scolaire ont été testés à deux niveaux. A l’échelle des pays, il s’agit de comparer les performances relatives des systèmes scolaires (scores obtenus dans les tests internationaux, différences de scores entre les élèves d’origine favorisée ou défavorisée) selon le degré de mixité du système scolaire. A un niveau individuel, l’accent est mis sur les performances individuelles des élèves selon la mixité de l’environnement scolaire dans lequel ils suivent leur scolarité.

Toutefois, selon l’aveu des auteurs eux-mêmes, ces études présentent des limites qu’il est très difficile de surmonter. Nous tentons ici de les résumer.

Au niveau des pays, la comparaison de différents systèmes éducatifs permet d’observer une assez bonne corrélation entre l’intensité de la ségrégation scolaire – c’est-à-dire la répartition des enfants issus de milieux différents dans des écoles différentes – et les inégalités sociales de performances académiques. Mais cette corrélation ne peut être assimilée à un lien de causalité, surtout directe. En effet, un système éducatif avec une forte mixité des élèves dans les classes et les écoles est lui-même le produit d’un système scolaire et social souvent moins inégalitaire, lequel a de très nombreuses caractéristiques autres que la seule mixité des écoles. Ceci conduit entre autres à un ensemble de pratiques spécifiques, dans le champ éducatif ou ailleurs, qui peuvent tout autant que la mixité en elle-même expliquer les résultats qui lui sont attribués. Bref, au niveau des pays, il est difficile, voire impossible, de séparer les bénéfices propres à la mixité scolaire d’autres effets susceptibles d’améliorer les résultats scolaires, notamment des élèves les plus défavorisés.

Au niveau individuel, il s’agit d’évaluer les « performances » des élèves – en particulier ceux issus des milieux défavorisés - en fonction du caractère plus ou moins mixte des écoles et/ou des classes qu’ils fréquentent. La plupart des études semblent ici aller dans le sens d’un effet bénéfique de la mixité sociale sur les résultats des élèves issus de milieux défavorisés. Toutefois, nous voudrions souligner trois points ici.

Premièrement, ces effets restent très limités, et surtout très inférieurs à l’impact de l’origine sociale des enfants. Il s’agit là d’un point décisif car cela indique que tous les efforts faits en matière de mixité ne compenseront pas, loin s’en faut, le « déficit social ». Peu d’auteurs nient ce fait, mais en mettant l’accent sur la mixité, on en arrive à oublier l’essentiel.

Deuxièmement, d’un point de vue plus technique, ces études se heurtent à la difficulté suivante : souvent fondées sur des caractéristiques socio-économiques générales (tels le diplôme des parents,...), on ne peut pas écarter que les élèves issus de milieux défavorisés qui fréquentent les écoles mixtes sont assez différents des autres, par exemple que leurs résultats scolaires antérieurs sont plus élevés (cette différence de résultats pouvant d’ailleurs être lié entre autres à d’autres caractéristiques du milieu familial). Bien que conscients du problème, les études peinent à le résoudre, car cela nécessite un suivi des élèves sur plusieurs années, plutôt que la comparaison de leurs résultats à un moment donné (ce que font la plupart des études).

Troisièmement, on relèvera qu’au sein des établissements primaires de l’enseignement francophone bruxellois, les résultats médians au Certificat d’Études de Base (CEB) varient de façon (inversement) proportionnelle avec la part d’élèves vivant dans un ménage faiblement diplômé (figure 4) : avec 10 % d’élèves défavorisés, les résultats tournent autour de 80, avec 30 %, ils sont proches des 75, avec 50 %, le score est d’à peu près 70, et avec 70 % de cette catégorie d’élèves dans l’établissement, le score médian réalisé au CEB est proche de 65… Bref, lorsque la proportion d’enfants issus de ménages peu diplômés augmente de 20 %, les résultats moyens de l’école diminuent de 5 points ! Il n’y a rien de surprenant à cela : comme les résultats des enfants dépendent de leur milieu social, les écoles avec des enfants moins favorisés ont des scores moyens inférieurs. Toutefois, si la concentration des élèves défavorisés avait un effet propre, les résultats au CEB dans les écoles avec une grande majorité d’élèves défavorisés devrait descendre plus que proportionnellement : lorsque la proportion d’enfants provenant de ménages peu diplômés augmente, on devrait s’attendre à un effet négatif de la concentration et que donc leurs résultats soient encore plus faibles que ce qui est observé sur ce graphique.

A vrai dire, la proportionnalité est d’autant plus surprenante qu’on pourrait s’attendre à une chute accélérée même sans aucun effet négatif de concentration. On pourrait en effet supposer que, parmi les élèves de ménages faiblement diplômés, ceux qui se retrouvent concentrés dans les mêmes écoles appartiennent en réalité à des ménages en moyenne plus précarisés encore que les autres (par exemple des ménages plus captifs du marché du logement), et qui ont en moyenne des profils académiques encore moins favorables.

Figure 4. Résultat médian obtenu au CEB selon la part des élèves des établissements vivant dans un ménage faiblement diplômé (Enseignement primaire francophone)
Note de lecture : Chaque cercle représente une école, proportionnellement à son nombre d’élèves. L’axe vertical donne les résultats médians des élèves de l’école pour l’examen de fin de primaire (CEB) et l’axe horizontal, la part des élèves dont les parents sont peu diplômés. On constate que, plus il y a d’élèves dont les parents sont peu diplômés, moins le score au CEB est élevé.

Discussion sur les processus sociaux à l’origine des effets bénéfiques de la mixité scolaire

Comme le souligne Danhier [3] , lorsqu’on s’interroge sur les processus sociaux derrière les effets bénéfiques de la mixité sociale en milieu scolaire, les études sont plus floues : l’influence des pairs (effets bénéfiques supposés pour les enfants des milieux défavorisés à fréquenter des enfants issus de milieux plus favorisés), les pratiques enseignantes ou les différences de ressources entre les écoles (ressources financières, qualité des enseignants,...) sont tour à tour mobilisés.

Parmi ces causes possibles, soulignons que la troisième (les ressources) ne relève pas directement de la mixité en milieu scolaire. Elle souligne le caractère inégalitaire du système scolaire, qui peine par exemple à recruter les meilleurs enseignants pour les écoles où les difficultés scolaires se concentrent. Sans régulation forte, il y aura une sélection des « meilleurs » enseignants vers les « meilleures » écoles. Un tel mécanisme ne plaide donc pas en tant que tel pour la mixité en milieu scolaire mais bien pour une répartition équilibrée des ressources, et pas seulement financières.

Du point de vue des pratiques enseignantes, les effets peuvent être contradictoires. Certes, dans une école mixte, l’enseignant peut en théorie consacrer plus de temps aux enfants en difficulté, puisqu’il en a moins. Pourtant, il suffit d’avoir assisté à une réunion de parents pour comprendre que les choses ne sont pas si simples : il est aussi probable que dans une école mixte, les normes de certains groupes (les parents issus des classes moyennes et supérieures) soient celles qui auront le plus de relais auprès de l’école et des enseignants. Dans un milieu mixte, les enseignants – sans en avoir nécessairement conscience – vont probablement adapter leurs pratiques aux enfants favorisés, plutôt que, par exemple, baisser pour un temps plus ou moins long leur niveau d’exigence afin de l’adapter au niveau des enfants les plus faibles de la classe. S’ils ne le faisaient pas, ils subiraient la pression du milieu scolaire où les exigences de milieux les plus favorisés ont des relais plus forts. Dans un tel contexte, il est très probable que les élèves qui ne sont pas suffisamment performants d’un point de vue scolaire, souvent d’origine défavorisée, ne puissent réussir dans un tel milieu scolaire ; il en résulterait que seuls les bons élèves des milieux défavorisés continueraient à être scolarisés dans ces écoles (ce qui nous ramène au biais de sélection souligné plus haut)...

On l’aura compris, les questions liées à l’inégalité scolaire sont difficiles à traiter d’un point de vue scientifique. Néanmoins, malgré les désaccords scientifiques que nous avons relayés sur ce site, il est peu probable que la mixité puisse être considérée comme la solution aux questions des inégalités scolaires, tant les effets néfastes de la concentration des élèves défavorisés ou bénéfiques de la mixité semblent limités en comparaison à l’importance de l’origine sociale des enfants pour expliquer leurs résultats scolaires. Il ne s’agit pas ici de donner raison à ceux qui luttent pour la « liberté de choix de l’école », qui n’est que la liberté de certains au détriment des autres, compte tenu du fait qu’il y a à peu près autant de places que d’élèves mais que certaines écoles sont plus demandées que d’autres. Il s’agit plutôt de s’interroger sur les moyens les plus efficaces pour améliorer le « destin scolaire » des enfants issus de milieux défavorisés, ce qui peut aussi passer par des stratégies pédagogiques adaptées pour les écoles qui les accueillent.

Notes

[3Danhier J. Et al., 2016, Ségrégation intra-établissement en Fédération Wallonie-Bruxelles, Congrès de l’AREF, MONS, 7-04-2016